Alors, mondialisation ou démondialisation? (Les Echos.fr)

Publié le 28 Novembre 2019

Dans les articles précédents, nous nous interrogions sur l'avenir de la mondialisation, processus historique encore inachevé aujourd'hui : poursuite de l'ouverture des frontières ou retour au protectionnisme, croissance des échanges ou repli sur des productions nationales, mondialisation ou démondialisation? Dans un article paru sur le site du journal économique "les échos", l'éditorialiste Eric Le Boucher nous apporte des éléments de réponse et nous aide à clore le débat, momentanément du moins...

source (texte et image) : http://www.lesechos.fr/journal20161028/lec1_idees_et_debats/0211438185720-que-vous-laimiez-ou-pas-la-mondialisation-continuera-2038618.php#

 

 

Que vous l'aimiez ou pas, la mondialisation continuera

 

Les protectionnistes se sentent renforcés par la décélération des échanges mondiaux depuis 2011. L'ère du libre-échangisme est-elle en train de s'achever ? Non. Si la mondialisation ralentit, c'est parce qu'elle est faite.

 

Le traité Ceta avec le Canada soumis aux caprices belges, la négociation TTIP avec les Etats-Unis entravée par le refus de la France, les réticences inédites de l'Allemagne et les positions des deux candidats aux présidentielles américaines, l'accord global d'échange du cycle de Doha, en panne depuis quinze ans, désormais jeté aux oubliettes : les protectionnistes gagnent des points. Ils se sentent renforcés par la décélération des échanges mondiaux depuis 2011 : le commerce international, qui croissait deux plus vite que l'économie générale, stagne désormais à son rythme. Le vent de l'histoire est-il en train de tourner ? Allons-nous vers un schéma du commerce moins « global », vers des régionalisations, voire des renationalisations ? L'ère du libre-échangisme est-elle en train de s'achever ? La deuxième mondialisation se termine-t-elle, comme la première, celle de la fin du XIX° siècle, par un retour de bâton nationaliste ?

 

Non. Les protectionnistes se trompent en criant victoire. La démondialisation n'a pas commencé. Si la mondialisation ralentit, c'est fondamentalement parce qu'elle est faite. Le grand changement des modes de production des années 1990 et 2000, c'est-à-dire la fragmentation des chaînes industrielles en morceaux élaborés chacun dans des usines réparties dans le monde au meilleur coût, a déjà eu lieu. La mondialisation avait accéléré les investissements et les délocalisations afférentes ; ce processus est aujourd'hui abouti, les investissements sont construits. Le commerce international revient, comme il est normal, au rythme de la croissance générale et c'est le ralentissement de celle-ci qui explique le ralentissement de celui-là. Pour être plus précis, la mondialisation a eu pour effet très bénéfique de faire émerger les pays du Sud. Aujourd'hui, Brésil, Russie, Afrique du Sud rencontrent des difficultés tandis que la Chine abandonne son modèle d'exportateur. On assiste à une normalisation (1) du commerce. Elle se double d'une réflexion a posteriori sur son bilan qui, de rose, devient plus gris. Les protectionnistes ont ici raison, une correction s'opère de certains excès.

 

On peut en citer trois. Dans l'industrie, les chefs d'entreprise ont compris que dépendre d'un seul fournisseur chinois n'était pas sécurisé. Ils réaffectent donc le chaînage des composants en doublant et rapprochant les sources. Dans l'agriculture, le mouvement pourrait, lui, prendre plus d'ampleur. Consommer des aliments locaux est une aspiration grandissante et de bon sens. Mais elle ne se traduira dans les achats des ménages que lorsque les agriculteurs locaux parviendront à un bien meilleur rapport qualité-prix, ce qui n'est pas gagné.

 

Une troisième évolution concerne un tout autre domaine, la finance. La liberté des flux de capitaux provoque des yoyos de changes et de taux d'intérêts tels qu'elle est remise en cause par beaucoup de banques centrales et par le FMI lui-même. A Washington, dans l'antre de la mondialisation, le contrôle des capitaux n'est plus un gros mot.

 

La mondialisation se corrige donc, parfois sensiblement, mais elle va continuer. Avec, quand même, deux changements majeurs. Le premier est de nature. La baisse des droits de douane est acquise pour les pays riches, elle tarde un peu pour les pays émergents, mais, grosso modo, la moyenne mondiale est basse, de 5 % ; les obstacles aux échanges à faire sauter ne sont plus là. D'où l'échec d'un Doha devenu, en somme, inutile. Les obstacles sont devenus les normes et les standards, qui coûtent en moyenne 20 % aux exportateurs. D'où les négociations actuelles, de l'Union européenne avec le Canada ou les Etats-Unis, pour les harmoniser. Cette évolution est essentielle, elle aura lieu, mais elle prendra beaucoup plus de temps qu'espéré par les négociateurs. Parce que, explique Pascal Lamy, on passe de la protection (les tarifs douaniers), qui concernait les producteurs, à la précaution (les normes), qui concerne les consommateurs. « Le terrain est beaucoup plus accidenté », prévient l'ancien directeur général de l'OMC. On en est aux OGM, mais quand on passe à la protection des données ou au bien- être des animaux, c'est rude : on ne touche plus seulement à des intérêts mais à des modes de vie. En Allemagne, un pays qui profite en plein de l'ouverture commerciale, les sondages en faveur du libre-échange sont tombés de 88 % il y a deux ans à 56 % aujourd'hui par craintes de la perte des normes germaniques (2).

 

Le deuxième changement vient du bilan plus gris tracé par les économistes de l'ère libérale eux-mêmes. Ils savaient qu'il y aurait des perdants, c'est dans la nature même de l'échange que de favoriser les producteurs qui ont des avantages comparatifs et donc d'éliminer ceux qui n'en ont pas. Mais les libre-échangistes plaident que les exclus profitent des baisses de prix et retrouveront un travail dans une autre branche plus favorisée. La première partie du raisonnement est juste : les prix ont fortement baissé et ce gain de pouvoir d'achat des ménages les attache à la concurrence ouverte et ruine l'argument des souverainistes pour qui « seules les élites en profitent ». Non, les ménages y ont grandement gagné.

 

Mais la deuxième partie est fausse. Les emplois de substitution manquent et la pression sur les salaires met l'ascenseur social en panne. D'où le changement de fond : il faut maintenant s'occuper en priorité des perdants. Le bon nationalisme, s'il en est un, serait de trouver comment amender l'ouverture des échanges pour que les gains soient répartis, sans y renoncer puisque la seule certitude est que l'isolement est une garantie d'échec pour tous. Aux futurs gouvernements américain, français et allemand de trouver ce comment.

 

Eric Le Boucher, les Echos, le 28/10/2016

 

Eric Le Boucher est éditorialiste aux « Echos ».(1) « The Great Normalisation of Global Trade »  ; VoxEU, 14 octobre. (2) « Free Trade in Chains », Paola Subbaci ; Project Syndicate, 22 octobre

 

Rédigé par Team Histoire-Géo

Publié dans #Term Géo

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