2nde - Voyage à travers les cartes : du Moyen-Âge à l'époque Moderne.
Publié le 5 Juin 2020
2nde - Voyage à travers les cartes : du Moyen-Âge à l'époque Moderne.
Rose des vents, détail de l'Atlas Catalan (1375 environ)
Documents 1 : L'espace des croyants - les cartes "T dans O" de l'époque médiévale.
Doc.1a : Mappemonde d'Isidore de Séville. Publiée dans son ouvrage Etymologiae vers 623, elle fut la 1ère carte imprimée en 1472. A chaque continent connu de l’œkoumène est attribué le nom d'un des trois fils de Noé chargés, d'après la Bible, de repeupler la terre après le déluge.
Doc.1b : Mappemonde de Beatius de Liébana élaborée vers 780, se basant sur les descriptions d'Isidore de Séville, de Ptolémée et de la Bible. En haut, on distingue Adam & Eve dans le jardin d’Éden, au centre Jérusalem.
Doc.1c : Enluminure attribuée à Simon Marmion (vers 1459-1463). Les trois fils de Noé, entre lesquels la Terre a été partagée après le déluge, participent à une même scène centrée sur l'arche.
Les cartes en T (ou cartes en TO) sont des représentations du monde en forme de T (pour "Terrarum") inscrit dans un O (pour "Orbis"), avec l'est placé en haut (on parle de carte "orientée") qui traduisent une vision religieuse du monde, typique du Moyen-Âge.
En effet, ces cartes représentent une terre plate limitée par un vaste océan circulaire. Les trois continents connus sont placés de part et d'autre de barres verticale et horizontale formant le T : au-dessus de la barre horizontale (qui figure le plus souvent le Tanaïs - fleuve coulant aujourd'hui en Russie et nommé Don - et le Nil ou la mer Rouge) se trouve l'Asie, à gauche de la barre verticale (la Méditerranée) se trouve l'Europe et à droite l'Afrique. À l'intersection des deux barres, on trouve la ville de Jérusalem (avec le tombeau du Christ), centre du monde. L'orientation spécifique est liée à l'Ancien Testament qui place le paradis terrestre en extrême orient, d'où couleraient quatre fleuves majeurs : le Tigre, l'Euphrate, le Pishon et le Gihon. Adam et Eve sont d'ailleurs souvent placés en haut de ces cartes. Cette tripartition du monde correspond donc à une vision religieuse de la géographie, symbolisant la Trinité et le peuplement de la terre par les trois fils de Noé (Sem, Japhet et Cham).
Alors que ce type de représentation du monde liée à des croyances chrétiennes dominait en Occident durant le Moyen-Âge, la superficie des terres de l'Eurasie cartographiées en Chine à la même époque était très largement supérieure. La représentation en TO fut progressivement abandonnée à partir du XIIe siècle. En Sicile par exemple, le roi Roger II fit notamment travailler à sa cour le géographe arabe Al-Idrisi qui établit en 1154 une mappemonde qui n'adoptait plus cette forme en TO.
Documents 2 : L'espace des savants - l'influence de la Géographie de Ptolémée.
Doc.2a : Planisphère de Ptolémée (première projection). Carte florentine du milieu du XVème siècle élaborée à partir de la traduction latine de la Géographie de Ptolémée.
Doc.2b : Planisphère de Ptolémée (seconde projection). Carte de Nicolaus Germanus élaborée en 1467 à partir de la traduction latine de la Géographie de Ptolémée.
Doc.2c : copie de la fin du Moyen-Âge (1300 ou 1486) de la Tabula Rogeriana dessinée par Muhammad al-Idrisi pour le roi Roger II de Sicile en 1154. Le livre des voyages agréables dans des pays lointains", plus connu sous le nom du Livre de Roger, est une description du monde et une carte du monde créées par le géographe andalous à partir des informations héritées de l'Antiquité (via Ptolémée) et des connaissances sur l'Afrique et l'océan Indien que les marchands arabes et les explorateurs avaient rapporté. Le texte reprend les descriptions exhaustives des conditions physiques, culturelles, politiques et socio-économiques de chaque région et chacune des 70 sections a sa carte correspondante. Elle est restée la carte du monde la plus précise pendant les trois siècles qui ont suivi. Le sud est en haut de la carte.
Claude Ptolémée (né vers 100 - mort vers 168), est un astronome et astrologue grec qui vécut à Alexandrie. Il est l’un des précurseurs de la cartographie avec son Manuel de géographie, traité rédigé vers l'an 150 qui compile l'ensemble des connaissances géographiques à l’époque de l’Empire romain.
Dés Ératosthène au IIIe siècle avant notre ère, des cartes basées sur des principes scientifiques avaient été réalisées; pour se repérer à la surface du gobe, ces cartes utilisaient un système de coordonnées : les méridiens et les parallèles. La géographie mathématique poursuivit ensuite ses progrès grâce à Hipparque (IIème siècle avant notre ère) puis à Marin de Tyr (de 70 à 130 environ). En se basant sur ces travaux (ainsi que sur les descriptions d'itinéraires disponibles à son époque), Ptolémée chercha à représenter l'ensemble des régions habitées, autrement nommé "écoumène" (ou "œkoumène"). Six des livres de sa Géographie contiennent ainsi des données sur les caractéristiques géographiques du monde connu : on y trouve les emplacements de différents peuples, de cours d'eau, de montagnes, de villes, d'îles (des longitudes et latitudes sont attribuées à environ 8 000 localités). Ces données contiennent toutefois de nombreuses erreurs : les longitudes sont surévaluées, la plupart des latitudes sont erronées, tout comme les dimensions de la terre.
Au cours de l'Antiquité tardive, la Géographie de Ptolémée est connue tant dans le monde grec que dans le monde latin. Le monde musulman en prend connaissance vers le IXème siècle : traduit et rebaptisée la Très grande œuvres, l'ouvrage sert de base aux travaux de géographes arabes comme al-Idrisi. C'est d'ailleurs à partir de cette version arabe qu'est réalisée une première traduction latine au XVIIème siècle. Plusieurs cartes sont alors dessinées à partir de ces traductions et imprimées (la première fois en 1475). La redécouverte des travaux de Ptolémée en Europe au XVème siècle siècle permit de relancer l'étude de la géographie mathématique et de la cartographie, dans un contexte de développement des explorations territoriales.
Documents 3 : L'espace des marins, commerçants et explorateurs - les portulans.
Doc3a : Carte dite "pisane" (fin du XIIIe siècle), le plus ancien portulan connu. Elle présente les caractéristiques essentielles des portulans qui vont lui succéder. Dessinée à la plume sur vélin, elle couvre les côtes méditerranéennes élargies à celles de la mer Noire, le long desquelles sont inscrits perpendiculairement les noms des ports, soit en noir soit en rouge (s'ils sont considérés comme les plus importants). La carte est orientée sur le nord magnétique, son utilisation étant liée à celle de la boussole. Elle n'a ni projection apparente ni coordonnées géographiques.
Doc.3b : L'Atlas catalan, portulan réalisé vers 1375 et attribuée à Abraham Cresques. L'Atlas se compose de six feuilles de vélin pliées en deux, collées sur des supports de bois à l'origine reliés entre eux. Sa partie occidentale documente des terres bien connues à l'époque (Europe, Afrique du Nord et bassin méditerranéen) avec une grande précision. En revanche, sa partie orientale remplit les espaces méconnus de l'Asie de divers éléments légendaires et mythologiques, tout en intégrant les informations rapportées par Marco Polo.
Doc.3c : Carte de 1492 attribuée à Christophe Colomb. Elle juxtapose de façon peu habituelle une mappemonde et un portulan. À gauche, la mappemonde, entourée de neuf sphères célestes, montre l'Afrique et au large de Cathay (la Chine de Marco Polo), le "Paradis Terrestre". À droite est dessiné un portulan de l'Atlantique et de la Méditerranée, qui traduit le long des côtes africaines les dernières découvertes portugaises mais qui laisse aussi une large place, dans le Nord-Ouest de l'Océan, aux îles imaginaires (comme l'île des Sept-Cités) dont les richesses supposées enflammaient l'imagination des navigateurs ...
Les portulans (de l'italien portolano, pilote, ou portolani, itinéraire de navigation écrit) sont des cartes de navigation créées par les marins italiens à partir du XIIIème siècle et servant essentiellement à repérer les ports et à connaître les dangers qui peuvent les entourer : courants, hauts-fonds...
La base de la carte consiste en un réseau de lignes (les rhumbs) correspondant aux aires de vent du compas ; ces lignes permettaient aux cartographes de relever les contours côtiers et aux marins de planifier leur route. Les noms de lieux (colorés différemment selon leur importance) étaient inscrits sur les terres, perpendiculairement au trait de côte, afin de ne pas gêner la lecture de la carte par les marins. Des roses des vents permettent aussi de repérer la route et de déterminer le cap à suivre. Ces cartes sont toutefois construites sans système de projection, pourtant supposé nécessaire pour tout passage d'une surface sphérique (la Terre) à sa représentation plane (le systèmes de coordonnées longitude/latitude ne sera redécouvert qu’avec la récupération de la Géographie de Ptolémée). L'établissement de ces cartes nautiques est donc basé sur le cabotage : le bateau se déplace à proximité des côtes, ce qui permet d'effectuer une série de mesures visuelles, en fonction du cap, et de les annoter. Les observations et les relevés étaient faits avec des outils assez élémentaires : la boussole, le sextant et l'alidade. C'est d'ailleurs l'invention de la boussole qui amène à placer le nord en haut des carte.
À l'époque, il existait deux types de portulans, le premier, dépourvu de décoration et de fioriture, servait aux marins naviguer en sécurité. Le deuxième type, plus connu aujourd'hui dans la mesure où de nombreux exemplaires sont encore conservés, était un objet d'art, richement décoré, prisé des collectionneurs et des cours royales. Ces portulans étaient en effet le symbole d'une connaissance approfondie des mers et du pouvoir commercial et naval d'un royaume. D'ailleurs, à l'époque des Grandes découvertes, ils étaient considérés par les royaumes du Portugal et d'Espagne comme des secrets d'État, notamment à partir du traité de Tordesillas de 1494.
Documents 4 : L'espace des conquérants - l'apparition du Nouveau Monde
Doc.4a : Le planisphère de Cantino (1502), une des plus anciennes cartes représentant le Nouveau Monde. Les continents et les grandes îles sont représentés en vert, tandis que les petites îles sont rouges ou bleues. Des drapeaux marquent la souveraineté des territoires. La carte présente en particulier une partie de la côte brésilienne, découverte accidentellement en 1500 par l'explorateur Pedro Álvares Cabral en 1500. L'équateur est représenté par une épaisse ligne dorée et la ligne de démarcation entre les territoires espagnols et portugais par une épaisse ligne bleue. De nombreuses routes loxodromiques et roses des vents apparentent cette carte à un portulan.
Doc.4b : Le planisphère de Caverio (1504-05). C'est un portulan sur lequel les latitudes sont clairement indiquées. Selon la tradition de l'époque, des drapeaux représentent la nationalité des différents territoires. L'Amérique du Nord est représentée par trois ensembles distincts (le Groenland, la côte est de Terre-Neuve et la Floride et le Yucatán), la côte de l'Amérique du Sud se base en grande partie sur les notes d'Amerigo Vespucci. Les noms sont principalement en portugais, certains en italien ou en espagnol. Le planisphère de Caverio est la principale source du planisphère de Waldseemüller.
Doc.4c : Le planisphère de Waldseemüller (1507) qui contient la première mention du mot "America" en l'honneur de l'explorateur Amerigo Vespucci. Le planisphère est cordiforme, c'est-à-dire en forme de cœur ou en forme de manteau, surmonté par deux médaillons : celui de gauche représente Ptolémée, celui de droite Amerigo Vespucci. La côte pacifique du continent américain étant inconnue à l'époque, Waldseemüller a donc été obligé de tracer lui-même les limites ouest du Nouveau Monde!
Doc.5d : Carte du Brésil tirée de l'Atlas Miller (1519) comprenant une dizaine de cartes maritimes. Un grand nombre de côtes lointaines y sont figurées pour la première fois de façon réaliste, comme Madagascar, les Moluques ou le Brésil (la plupart d'entre elles avaient été découvertes depuis moins de trente ans). Les armoiries foisonnantes indiquent très clairement, selon les régions du monde, les possessions portugaises ainsi que les colonies espagnoles. Son échelle reste peu détaillée et il n'y a aucune allusion à la maîtrise des vents et des courants, aux aléas de la mousson... Ce portrait idyllique qui montre tout sans rien dévoiler, n'était certainement pas utilisable efficacement par des navigateurs mais glorifie la puissance maritime portugaise, sans menacer sa stratégie de monopole : il fut donc probablement composé pour un prince tel que le roi de Portugal.
Doc.4e : Planisphère du cartographe génois Battista Agnese. Centrée sur l'Europe, la carte fait clairement apparaitre le système de coordonnées en latitude et en longitude. Agnese y figure aussi le trajet de la première circum-navigation entreprise sous la conduite de Magellan (vers 1543).
Doc.5f : Planisphère nautique de Pierre Desceliers (1550). Cette carte est à la croisée du Moyen Âge et de l’ère moderne : précises autant que les connaissances le pouvaient sur le tracé des côtes, elles intègrent des représentations fantastiques d’habitants et d’animaux dans l’intérieur des terres, comme des hommes sans tête et aux multiples bras en Afrique. Même s'il comporte des lignes de rhumbs, ce planisphère est avant tout un objet de décoration dédié à des princes dont le cartographes peint les armoiries (on voit ici celles du roi Henri II, du connétable Anne de Montmorency et de l’amiral de France Claude d’Annebaut).
Après la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, les planisphères se multiplient. Ils intègrent les techniques et savoirs cartographiques passés et présents (voir même futurs!) : on y retrouve le bestiaire fantastique de l'époque médiévale, la précision des traits de côte et les lignes de rhumbs des portulans d'origine méditerranéenne, le système de coordonnées et de projection de la cartographie mathématique de Ptolémée, les routes maritimes et les nouvelles terres découvertes par les explorateurs (certains tracés encore inexplorés étant même inventés par les auteurs!). Du planisphère de Cantino (1502) à celui du cartographe normand Desceliers (1550), les cartes témoignent de l'élargissement du monde et des connaissances géographiques né des périples océaniques des navigateurs européens.
Si la valeur scientifique de ces documents est incontestable, ils ont aussi une dimension symbolique, économique et politique. En effet, dès le moment où les Portugais commencèrent à fixer une image réaliste de la route des Indes, la cartographie n'eut plus le droit d'être neutre et devint indissociable de la politique des États, de leurs ambitions et leurs revendications. À partir d'esquisses dont le tracé se précisait à chaque retour d'expédition, les cartographes devaient ouvrir la voie aux voyages suivants, mais aussi imposer des prétentions sur de nouveaux territoires, éventuellement en trichant sur leur localisation. Ils devaient aussi protéger leurs secrets, à moins qu'ils ne choisissent de les monnayer ou de trahir...
Pour compléter :
"Au cœur des cartes | voyagez dans le temps et l'espace", série de courts documentaires (4 minutes environ) sur les cartes marines réalisée par la BNF.
Lien : https://www.youtube.com/playlist?list=PL-GL80g2OlE3HeD0u3CB80NKwP-CGrcjL
Sources :
- wikipédia, articles divers
- "l'âge d'or des cartes marines", BNF
- "l'épopée cartographique", John O.E. Clarck