Les régimes totalitaires : la Grande Terreur en URSS (1937-38)
Publié le 13 Décembre 2024
Les régimes totalitaires : la Grande Terreur en URSS (1937-38)
Joseph Staline
Doc. 1 : Le lancement de l’opération koulak, le 2 juillet 193.
L’ordre « secret » de l'opération koulak, signé par Staline, est considéré comme le début des « opérations de masse » à l’origine de la Grande Terreur de 1937-38.
« Il est remarqué qu’une grande partie des ex-koulaks et criminels, exilés dans les régions du Nord et de la Sibérie, et rentrés par la suite, à l’issue de leur peine, chez eux, sont les principaux instigateurs des crimes antisoviétiques aussi bien dans les kolkhozes, les sovkhozes que dans les transports et certaines branches de l’industrie.
Le Comité central propose à tous les secrétaires régionaux et républicains du Parti, ainsi qu’à tous les responsables régionaux du NKVD de ficher tous les koulaks et criminels retournés chez eux afin que les plus hostiles d’entre eux puissent être immédiatement arrêtés et fusillés à l’issue d’une procédure administrative simplifiée devant une troïka, les autres moins actifs, mais néanmoins hostiles, étant exilés dans des régions éloignées du pays sur l’ordre du NKVD.
Le Comité central vous invite, dans un délai de cinq jours, à lui proposer la composition des troïkis, le nombre d’éléments à fusiller ainsi que le nombre d’éléments à exiler. »
Le Secrétaire du Comité central, J. Staline.
Doc. 2 : la préparation de « l’opération koulak ». Instructions données par Mironov, chef du NKVD de Sibérie, à ses subordonnés, vers le 20 juillet 1937.
Dans la seconde quinzaine de juillet 1937, se tiennent des conférences opérationnelles concernant l’opération de masse à venir. Les responsables de districts chargés de mettre en œuvre « l’opération koulak » sont convoqués. Voici en quels termes Mironov, chef du NKVD de la région de Sibérie occidentale, de retour de Moscou, explique à ses subordonnés le sens et les modalités de l’opération.
« Jusqu’à ce qu’on ait terminé cette opération, sachez que celle-ci est absolument secrète, un secret d’État. Quand je vous présenterai le Plan attribué à notre région, les chiffres que vous entendrez, vous devrez les faire disparaître de votre tête. Ceux qui ne parviendront pas à extirper ces chiffres de leur tête, ils devront se faire violence et les chasser d’une manière ou d’une autre, car la moindre diffusion de ces chiffres, la moindre mention de ces chiffres, vous conduirait sur-le-champ devant un tribunal militaire. (…)
L’opération commencera par la 1e catégorie (les condamnés à mort). Vous enverrez à la troïka le dossier déjà prêt avec la résolution et quelques extraits. Les listes des éléments arrêtés, vous ne les montrerez au Procureur qu’après la fin de l’opération et vous ne mentionnerez jamais la catégorie (1e ou 2e) attribuée. Vous vous bornerez à indiquer : koulak, criminel, autre, article du Code pénal, date de l’arrestation. C’est tout ce que vous enverrez au procureur. Les délais de garde à vue dans les cellules d’incarcération provisoire n’ont plus de limite. Vous pouvez garder les individus arrêtés dans les cellules d’incarcération provisoire deux mois si vous le souhaitez. Inutile de préparer de nombreux comptes rendus d’interrogatoire. Au grand maximum, deux-trois par individu. Si l’individu arrêté a avoué, un seul compte rendu suffit. Inutile d’organiser des confrontations, convoquez deux-trois témoins, inutile de les confronter avec l’accusé. (…)
Les dossiers seront ficelés de manière accélérée. Mais sachez qu’après l’opération, il risque d’y avoir un contrôle d’en haut, un contrôle sérieux, aussi faut-il être très exigeant du point de vue de l’attribution de la catégorie, première ou seconde (10 ans d’emprisonnement). Nous avons deux mois et demi de travail devant nous, or, dans un mois, on peut découvrir de nouvelles affaires, de nouveaux groupes, qu’est-ce qui risque d’arriver ? Que nous aurons tout simplement éclusé notre quota, dans un mois on risque de n’avoir plus de quota. Il est indéniable au jour d’aujourd’hui qu’avec le fichage assez superficiel que nous avons, un certain nombre d’individus fort intéressants de notre point de vue ont été classés en deuxième catégorie, alors qu’ils méritent assurément la première. (…). Notre quota en 1e catégorie est de 11000, cela veut dire qu’au 28 juillet, vous devez avoir 11000 individus déjà arrêtés, prêts, sous la main. Vous pouvez bien sûr en avoir 12000, 13000 et même 15000, je ne vous limiterai pas. Vous pouvez même aller jusqu’à 20000. »
Première page (sur dix-neuf) de l’ordre opérationnel 00447 émis le 30 juillet 1937 par le NKVD
Doc. 3 : l’ordre n°0047 du 30 juillet 1937.
Le 30 juillet 1937, « l’Ordre opérationnel du commissaire du peuple aux Affaires intérieures de l’URSS n°0047 sur l’opération de répression des ex-koulaks, criminels et autres éléments antisoviétiques », est signé par Nikolaï Iejov. Le texte énumère pas moins de huit « contingents » d’individus à réprimer :
« Il faut, dit-il, en finir une fois pour toutes avec le travail de sape mené par les éléments contre-révolutionnaires contre les fondements mêmes de l’État soviétique.
Contingents sujets à répression : ex-koulaks revenus à l’issue de leur condamnation et continuant à mener une activité antisoviétique de sape ; ex-koulaks ayant fui le camp ou le village spécial ou s’étant cachés pour échapper à la dékoulakisation et qui mènent une activité antisoviétique ; ex-koulaks et éléments socialement nuisibles faisant partie de groupes insurrectionnels, fascistes, terroristes ou bandits, purgeant leur peine, ou s’étant cachés pour échapper à la répression ou ayant fui de leur lieu d’exil et continuant à mener des activités antisoviétiques ; membres de partis soviétiques (SR, mencheviks géorgiens, moussavatistes, dachnaks), anciens gardes blancs, gendarmes, fonctionnaires, chefs de bande, bandits, réémigrés s’étant cachés pour échapper à la répression ou s’étant enfuis de leur lieu d’exil et continuant à mener des activités antisoviétiques ; membres des organisations cosaques-gardes-blancs, fascistes, terroristes et diversionnistes démasqués par des données avérées de renseignement, d’enquête ou d’instruction. Sont également sujets à répression les éléments de cette catégorie actuellement en détention, dont l’instruction est terminée mais qui n’ont pas encore été jugés. Les éléments les plus actifs parmi les ex-koulaks, les bandits, les Blancs, les membres des sectes ou du clergé actuellement en prison, en camp ou en village spécial, et qui continuent à y mener une activité antisoviétique de sape ; les éléments criminels (bandits, voleurs-récidivistes, contrebandiers professionnels, affairistes, voleurs de bétail) liés à un milieu criminel. Sont également sujets à répression les éléments de cette catégorie actuellement en détention, dont l’instruction est terminée mais qui n’ont pas encore été jugés (…). »
Tous ces éléments devaient être répartis en deux catégories :
« a) les plus actifs et hostiles des éléments ci-dessus énumérés seront affectés à la première catégorie. Ces éléments seront immédiatement arrêtés et après examen de leur cas par une troïka fusillés.
b) les éléments moins actifs, mais néanmoins hostiles seront affectés à la seconde catégorie. Ces éléments seront immédiatement arrêtés et envoyés en camp pour une durée de huit à dix ans ; les plus endurcis et les plus socialement nuisibles seront incarcérés en prison pour la même durée. »
Doc. 4a : Les « matériaux incriminants »
Voici quelques exemples de fiches réunissant des « matériaux incriminants » les futurs arrêtés – quelques quinze à vingt lignes suffisent pour motiver un mandat d’arrêt – qui doivent prouver l’appartenance de l’individu à une classe parasite. Ces données portent le nom de kharakteristiki ou spravki :
- « Spravka délivrée par le président du soviet rural du village de Troitskoie (région de Moscou) concernant le citoyen Cherchnev A. V., pope.
« Cherchnev A. V. passe son temps à diffuser ses opiums parmi le peuple travailleur des kolkhoziens, les détournant ainsi du travail. Cherchnev se distingue par ses propos et ses actions antisoviétiques et koulak et pour que cet individu ne continue pas à nous gêner au village, considérons qu’il faut l’éliminer et le liquider en tant que classe. Etabli et certifié par le président du soviet rural de Chatekov. »
- « Kharakteristika du responsable du Parti de la Typographie exemplaire n°1 du Combinat Poligrafkniga de Moscou concernant Larioukov D. G., typographe.
« Larioukov D. G. a travaillé comme typographe à la Typographie exemplaire n°1 du 4 juillet au 14 février 1937. Personnalité très renfermée. Ne participait jamais à la vie collective de l’atelier. En février 1937, a commis une faute grossière qui a justifié son licenciement immédiat : en composant le journal de l’entreprise a écrit la phrase suivante : « nettoyer l’Union soviétique de la saleté soviétique » au lieu de « la saleté trotskiste ». »
Doc. 4b : Une victime des « opérations de masse ».
Âgée de 74 ans, Alexandra Petrovna Nikolaieva vend des fleurs artificielles dans un cimetière de Leningrad. Accusée d’avoir répandu des rumeurs antisoviétiques, elle est arrêtée en novembre 1937.
« Réponse : Les fossoyeurs m’ont dit qu’en ce moment ils amenaient plein de morts la nuit, des gens sans famille. Quand je leur ai demandé quel type de gens, ils ont dit : « ça ne te regarde pas [...] on n’a pas le droit d’en parler ». [...]
Question : À qui avez-vous dit qu’on amenait plein de morts au cimetière la nuit ?
Réponse : Je n’ai parlé à personne de ça.
Question : Vous mentez ! J’exige que vous disiez la vérité ! [...]
Question : Qui vous a dit que les personnes qu’on enterrait de nuit étaient des fusillés ?
Réponse : Personne. Je l’ai deviné toute seule, car je sais que les morts ordinaires sont amenés de jour, tandis que les fusillés ont les amène vers 8 heures du soir et ils sont enterrés de nuit.
« Nikolaieva A.P., tout en vendant des fleurs au cimetière, diffusait systématiquement parmi les gens qui se rendaient au cimetière des rumeurs contre-révolutionnaires provocatrices et hostiles. Menait en outre une propagande terroriste contre les dirigeants du parti communiste. Verdict : FUSILLER ». »
Photographies de condamnés durant la Grande Terreur.
Doc. 5 : Témoignage de A. V. Kouznetsov, chef du NKVD du district de Kountsevo, 3 février 1939.
Le fichage des individus répondant aux prérogatives « nationales » durant les purges de 1937-38 n’était souvent pas au point, voire inexistant. Dans un district de la banlieue de Moscou, voici comment les tchékistes « remplissent les lignes nationales » :
« Petrov (lieutenant de la Sécurité d’Etat, N. D. Petrov, travaillait dans l’un des départements centraux de la Loubianka, quartier général de la Sécurité d’Etat à Moscou) me demanda ce que j’avais comme matériaux dans mon district sur les nationaux. Je lui répondis que je n’avais rien. Sur ce, Petrov me dit de chercher dans les entreprises, les bureaux de renseignements et en général dans toute administration tenant des registres, des listes de nationaux et à partir de ces listes, préparer des mandats d’arrêts, incriminant systématiquement à chacun l’accusation d’espionnage. Puis il me donna un chiffre minimal d’individus à arrêter dans un premier temps. Quand je lui fis remarquer que dans le cours de l’instruction, on risquait d’avoir du mal à alimenter l’accusation d’espionnage, Petrov me dit : Faites ainsi : écrivez vous-même le protocole, imaginez en fonction du lieu où travaillait l’individu le type d’espionnage qu’il pouvait faire, ou bien incriminez-lui des actes de diversion. Allez-y, ne craignez rien, nous ne serons pas regardants. Si l’individu ne veut pas signer le protocole, battez-le jusqu’à ce qu’il signe (…). Je procédais donc ainsi : les nationaux résidant dans le district de Kountsevo étaient arrêtés à partir de listes recueillies et confectionnées dans les entreprises et les administrations. Je regroupais les gens travaillant dans une même entreprise en une organisation contre-révolutionnaire et je leur collais des incriminations en fonction de l’activité de l’entreprise – ainsi, pour une entreprise travaillant pour la Défense, c’était naturellement espionnage et sabotage. »
Doc. 6 : exemple de directive adressée par les dirigeants régionaux du NKVD aux responsables opérationnels chargés de mettre en œuvre les exécutions des purges de 1937-38
. Directive du 2 août 1937, envoyée par Popachenko, le chef du NKVD de la région de Kouïbychev, au capitaine de la Sécurité d’Etat Korobitsin, responsable des opérations de répression dans le district d’Oulianovsk.
« Strictement confidentiel.
Préparez un lieu secret, si possible dans une cave du bâtiment du NKVD, où les condamnés à mort seront exécutés. Les exécutions auront lieu la nuit. Avant l’exécution, vous vérifierez soigneusement l’identité de l’individu exécuté. Les corps seront enterrés dans une fosse commune creusée à l’avance dans un lieu secret. Le transport des corps devra être effectué exclusivement dans des véhicules de fonction du NKVD. Vous signerez le certificat individuel d’exécution en un seul et unique exemplaire. Ces certificats seront envoyés tous les cinq jours sous pli scellé et par paquet séparé spécial uniquement par coursier du NKVD au chef du 8e département de la Sécurité d’Etat de la Direction régionale du NKVD.
Vous êtes personnellement responsable du secret absolu concernant le lieu, la date, l’heure et les méthodes d’exécution. A la réception de ce document, vous m’enverrez la liste du personnel du NKVD autorisé à prendre part au processus d’exécution. En aucun cas, il ne sera fait appel à des fonctionnaires de police ordinaire, ni à des militaires. Toutes les personnes impliquées dans le transport des corps, du creusement et du recouvrement des fosses signeront un document spécial les engageant au secret sous peine d’arrestation immédiate. »
Doc. 7 : géographie de la Grande Terreur Stalinienne
Doc. 8 : le système concentrationnaire soviétique.
Camp de prisonniers en Sibérie
Déportés utilisés à la construction d'une voie ferrée.