Etude de cas : Mumbai, une métropole émergente.
Publié le 21 Avril 2020
THEME 3: DYNAMIQUES DES GRANDES AIRES CONTINENTALES
Étude de cas : « Mumbai, métropole émergente »
Mumbai: au 1er plan, le slum de Dharavi; en fond, le nouveau pont Bandra-Worli
, Mumbai est aussi la capitale économique et financière de l’Inde; métropole la plus puissante du pays, elle constitue la vitrine de la modernité et le symbole de l’émergence indienne. Son développement économique actuel, lié notamment à son intégration au processus de mondialisation, conduit à des transformations profondes de l’organisation de son territoire.
=> Pourquoi peut-on qualifier la ville d'émergente ? En quoi son organisation spatiale reflète-t-elle ce caractère ?
=> Dans quelle mesure Mumbai symbolise-t-elle le dynamisme économique de l'Inde (et plus largement de l’Asie du Sud et de l’est) ainsi que les limites de ce développement ?
I – MUMBAI, UNE MÉGAPOLE INDIENNE.
1. Une exceptionnelle croissance urbaine.
Mumbai est déjà fortement peuplée dés la période coloniale : sa population atteint 1 million d'habitants au début du XXème siècle (deuxième ville du pays derrière Calcutta). Toutefois, l'explosion urbaine commence véritablement dans la 2ème moitié du siècle dernier. Mumbai concentre aujourd'hui plus de 20 millions d'habitants dans son aire urbaine et environ 13 millions au sein de la municipalité, ce qui en fait la 1ère agglomération indienne (1,6% de la population du pays) et la 5ème de la planète. Cette explosion urbaine résulte de :
-
l'explosion démographique indienne née de la transition démographique du pays. Celle-ci commence dans les années 1920 et s'accentue dans les années 1950. Aujourd'hui, la croissance naturelle du pays est plus modérée depuis le début du XXIème siècle (le taux de natalité est d'environ 2,5 enfants/femme)
-
l'exode rural massif qui accompagne la transition démographique et l'industrialisation du pays. Aujourd'hui, les migrations sont encore estimées à 4 000 nouveaux arrivants par semaine.
=> Mumbai est devenue en un demi siècle une des plus importantes mégapoles de la planète. Son exceptionnelle croissance pose de nombreux problèmes urbanistiques.
Transition démographique en Inde

Croissance de la population urbaine en Inde (1981-2001)
2. De la ville à la région urbaine : croissance démographique et étalement urbain.
L'explosion urbaine de Mumbai s'est traduite spatialement par une forte extension urbaine et une augmentation des densités humaines. En effet, avec une densité de plus de 100 000 habitants au km², l'espace de la municipalité de Mumbai est largement saturé. Limité à l'ouest et au sud par la mer, l'étalement s'est ainsi fait vers l'intérieur et surtout vers le nord, entre les espaces naturels et le long des axes de communication: au nord, la croissance de la population a atteint un taux record de 300 % par an dans les années 1990 alors qu'à l'est, la ville nouvelle de Navin Mumbai conçue dans les années 1970 compte déja près de 3 millions d'habitants et occupe 350 km².
L'agglomération s'étale aujourd'hui sur environ 65 km du nord au sud et occupe une superficie de plus de 600 km² (même si la limite entre la ville et la campagne est difficile à définir dans les périphéries de l'espace urbain) pour une densité moyenne supérieure à 20 000 hab/km².
=> Avec l'augmentation brutale et massive de la population, l'espace urbain s'est fortement étendu (malgré un site contraignant) et densifié de manière incontrôlée.

L'aire urbaine de Mumbai
3. Les défis de la croissance : urbaniser la pauvreté.
Cette croissance urbaine a logiquement entraîné de nombreux problèmes urbanistiques, qui constituent autant de défis posés à la population et surtout aux autorités urbaines. Ces problèmes sont aggravés par la pauvreté d'une large partie des habitants (environ la ½) : Il faut ainsi :
-
Maîtriser la croissance urbaine : l'édification de nouvelles habitations/de nouveaux quartiers s'est souvent faite sans autorisation légale et sans tenir compte des plans d'urbanisme (quant ils existent). L'extension s'est ainsi réalisée au détriment de zones agricoles, d'espaces naturels protégés (le parc national de Sanjay Gandhi est grignoté par l’urbanisation, tout comme le littoral)... La ville a ainsi connu un développement spatial largement incontrôlé.
L'extension incontrôlée de Mumbai
-
Répondre à la demande de logement : la moitié de la population vit aujourd'hui dans des bidonvilles (nommés « slums » en Inde), comme celui de Dharavi, le plus grand d’Asie, avec une population d’environ 1 million d’habitants pour une superficie de 175 ha.
Slum, implanté dans un interstice urbain
- Développer les différents réseaux (eau, électricité, gaz...) : en raison de la vitesse et de l'ampleur de la croissance urbaine, de nombreux quartiers (illégaux surtout mais pas seulement) ne sont pas raccordés aux différents réseaux : les services d’électricité ou d’eau sont ainsi défaillants, le système sanitaire inexistant, les bidonvilles insalubres...
-
Assurer la circulation : en raison de la forte densité de population et de l'insuffisance des infrastructures de transport, la ville est terriblement congestionnée : les embouteillages paralysent la ville, les trains sont surchargés (ceux en provenance des banlieues-dortoirs transportent chaque jour plus de cinq millions de passagers), les accidents sont fréquents...

Circulation à Mumbaï
-
Réduire la pollution : à Mumbai, les atteintes à l'environnement sont de plus en plus fréquentes. La ville est la plus polluée d'Inde, en raison notamment des activités industrielles, du trafic routier et de l'insuffisance des infrastructures d'évacuation des déchets (tout-à-l'égout...).
Déchets plastiques sur la plage de Juhu à Mumbaï
De plus, la croissance urbaine est surtout le fait de population pauvre. Si le revenu par habitant (un peu moins de 1000$ par hab/an) est le triple de la moyenne nationale, la pauvreté est très présente dans la ville : les ⅔ de la population active travaillent dans le secteur informel, le niveau d'alphabétisation est très bas
...=> Mumbai est donc bien une mégapole indienne : explosion urbaine, étalement incontrôlé, dysfonctionnement urbain et ampleur de la pauvreté en sont les caractéristiques les plus visibles.
II – MUMBAI, UNE MÉTROPOLE EN DEVENIR : DU PASSÉ GLORIEUX À L'AVENIR RADIEUX (?)
1. L'héritage coloniale : Mumbai, porte d'entrée des Indes.
Le développement colonial de la ville commence en 1534 avec l'arrivée des portugais qui nomment la zone « Bon Bahia » (« la bonne baie », qui donnera Bombay) et fonde un comptoir commercial. En 1661, la ville est cédée à la couronne britannique qui loue les îles à la Compagnie anglaise des Indes Orientales qui obtenait ainsi un excellent port sur la côte ouest de l'Inde.
La Guerre de Sécession américaine (1861-1865) fait de Bombay le premier marché cotonnier du monde. Enfin, l'ouverture du canal de Suez, en 1869, permet à Bombay de devenir l'un des plus importants ports de l'Asie. La ville, constituée à l'origine de deux grandes îles parallèles à la côte (Bombay au sud et Salsette au nord), dispose en effet d'un vaste plan d'eau à l'abri des tempêtes de la mer d'Oman.
En 1888, Bombay devient la principale porte d'entrée vers l'Inde et le centre industriel, textile et commercial majeur du pays. Les changements de la ville sont spectaculaires : la croissance économique s’accélère et le pouvoir colonial y édifie de grands ouvrages qui témoignent du dynamisme et de la richesse de la ville.
"Gateway of india", Mumbai, la porte des Indes
=> Mumbai bénéficie d'une tradition commerciale (portuaire) et industrielle issue de la période coloniale. La ville est, dés la fin du XIXème siècle, le 1er centre économique du pays.
2. Une métropole puissante et influente intégrée à la mondialisation.
Mumbai est la capitale économique de l'Inde. Elle représente 5% du PNB, 10% des emplois industriels, 40% de l'impôt sur le revenu et presque 20% de la valeur ajoutée par les industries de transformation.
La ville possède ainsi la base économique la plus importante et la plus diversifiée du pays. Cette activité bénéficie largement de l'ouverture du pays à la mondialisation. On y trouve ainsi :
-
des activités industrielles : textile (en déclin toutefois), chimie, pétrochimie, pharmacie, automobile, équipements électriques et électroniques, métallurgie… Mumbai accueille les activités productives de nombreuses firmes étrangères, comme les produits cosmétiques du groupe Garnier.
Zones d'activités à Mumbai (dont la ZES de Santacruz nommé ici SEEPZ)
-
des activités du tertiaire supérieur : les services contribuent pour une part de plus en plus importante à l'activité de la ville : banques et services financiers, médias, services au commerce et à l'industrie... On y trouve ainsi les sièges sociaux de grandes entreprises indiennes (Tata), les bureaux de firmes étrangères (Jaguar, Land Rover), des centres de décision financier (la banque centrale indienne, Reserve Bank of India), des places boursières (le Bombay Stock Exchange, 1ère place boursière mondiale pour le nombre de sociétés cotées, 5ème pour le volume de transactions électroniques ; le National Stock Exchange of India)
Localisation des sièges sociaux des 500 plus grandes entreprises indiennes (Durand-Dastes, 1995)
-
des activités de création et de diffusion culturelle : on y trouve les studios de Bollywood (1er producteur cinématographique mondial, devant Hollywood) qui exportent dans de nombreux pays (Maghreb, Moyen-Orient, Afrique subsaharienne et pays de la diaspora comme le Royaume-Uni et les États-Unis)
-
des activités d'enseignement supérieur et recherche, comme l'institut indien de technologie de Bombay, l'institut Tata pour la recherche fondamentale...
En outre, Mumbai est toujours la porte d'entrée du pays : son port, qui s’étend sur 8 km et est doté d'infrastructures modernes, est le 1er du pays, tout comme son aéroport (Chhatrapati Shivaji) qui constitue un hub pour les compagnies Air India, Jet Airway ou encore Indian Airlines, Il constitue la plate-forme de correspondance la plus importante des Indes avec 25% du trafic intérieur et 40% trafic international. Mumbai représente ainsi 60 % des droits de douane et 40 % du transit international indien.
L'aéroport Chhatrapati Shivaji, au coeur du tissu urbain
=> Mumbai dispose ainsi des fonctions urbaines rares et diversifiées qui en font une métropole d'envergure mondiale. Elle entretient ainsi sa tradition d'ouverture économique et de nœud de communication.
3. La politique d'aménagement urbain : Mumbai, vitrine de la modernité indienne.
Les autorités urbaines ont mis en œuvre de nombreux projets d'aménagement urbain pour faire face à la croissance urbaine et moderniser la ville. Ainsi, le « Mumbai Metropolitan Regional Development Authority » (MMRDA) a planifié et/ou réalisé :
-
La construction d’une ville jumelle sur le continent à partir de Thane dès la fin des années 1970 : Navim Mumbai. Celle-ci a été conçue pour proposer un nouvel axe de développement mais elle ne répond pas aux objectifs initiaux. La ville nouvelle manque en effet d’infrastructures publiques (hôpitaux et écoles notamment) et n’est finalement qu’une « ville-dortoir ».

Navi Mumbai
-
La mise en place de Zone Économique Spéciale (ZES), comme celle de Santacruz au nord de la ville : cet espace (situé à proximité de l’aéroport international) cherche à attirer les entreprises étrangères en offrant des avantages fiscaux, en supprimant les droits de douane... La zone est spécialisée dans l’électronique et les logiciels informatiques; les productions sont tournées vers l’exportation
-
Le projet Mumbai Vision : il consiste à embellir la ville et à la rendre plus attractive pour les entreprises et les cadres (notamment étrangers). Ainsi, il doit permettre d'inscrire la capitale économique indienne dans la compétition internationale entre les métropoles de la planète en réduisant les "slums" et en solutionnant les problèmes de congestion automobile et d'insuffisance énergétique qui l'empêchent de fonctionner. Faute de pouvoir le faire suffisamment rapidement, la solution consiste à créer des enclaves urbaines autonomes ("integrated townships"), le plus souvent périphériques, ou bien, de plus en plus, à mettre en place un urbanisme vertical : "fly-over" (autoroutes surélevées) ou "sky walks" (gigantesques passerelles piétonnes aériennes), qui permettent d'enjamber les problèmes à défaut de les résoudre. C'est dans ce cadre qu'a été construit le nouveau quartier de Bandra Kurla Complex au sud de la ville : les anciennes zones industrielles ont été reconverties en résidences de haut standing, centres commerciaux, CBD... La ville s'est ainsi également dotée d'un métro, d'un gigantesque pont maritime...

Le National Stock Exchange of India dans le nouveau quartier de Bandra Kurla
Le nouveau métro de Mumbai
Le Bandra Worli Sea Link devant la skyline de Mumbai
=> La ville est aujourd'hui écartelée entre deux extrêmes : d'un côté, son ambition de devenir une "ville globale" selon le modèle Shanghai, de l'autre le poids de la pauvreté et de ses bidonvilles à gérer.
=>En cherchant à devenir la vitrine de la modernité et du dynamisme indien, Mumbai connaît un processus de tertiarisation et de gentrification.
III – MUMBAI, UNE VILLE DE CONTRASTE
1. un espace urbain morcelé et ségrégué
La métropole est un vaste espace composite formé à la fois de territoires planifiés et aménagés, de territoires au développement anarchique et de zones interstitielles abritant bidonvilles, espaces semi-ruraux et zones d’emplois informels. L'espace urbain est donc caractérisé par une très forte ségrégation socio-spatiale, autrement dit par la proximité de populations et de quartiers au niveau de richesse et de développement très différents. C'est par exemple le cas dans le sud de la ville où l'on trouve à la fois :
-
les quartiers riches et modernes de Marine Drive et de Tardeo (où est située la maison la plus chère du monde – appartenant à la famille Ambani, plus grande fortune indienne – Antilia House qui compte 27 étages, 9 ascenseurs pour une superficie de 37000 m² et qui accueille une famille de 6 personnes ainsi que les 500 employés de maison !!!)
Les tours résidentielles Imperial Towers dans le quartier de Tardeo
Antilia House
-
le principal bidonville de Mumbai, Dharavi, qui regroupe la moitié de la population de la mégapole.
En outre, la constitution d'une véritable classe moyenne et d'un classe supérieure aisée (la ville compte, à elle seule, plus de millionnaires que tout le reste du pays) accroît la pression sur les populations des bidonvilles, ces-derniers constituant un capital foncier convoité par les promoteurs immobiliers.
Les opérations de rénovation urbaine évoquées précédemment ont ainsi pour conséquences de transformer la géographie sociale de la ville en accentuant les polarisations spatiales :certains quartiers se valorisent fortement et entraînent la relégation aux marges des villes d'un certain nombre d'activités et de populations moins valorisées => vers une ville duale (?)
=> quoiqu'il en soit, l'agglomération est, à l'instar de nombreuses métropoles du sud, très fortement marquée par la ségrégation socio-spatiale et les inégalités.
2. Les tensions ethniques et religieuse d'une ville cosmopolite.
Bombay a une longue tradition d'immigration. Sa culture unique résulte de la cohabitation de nombreuses communautés originaires de toutes les régions de l'Inde, sans oublier de nombreux étrangers. Ce caractère cosmopolite de la ville peut occasionnellement déboucher sur des crises comme ce fut le cas avec:
-
les émeutes entre hindous et musulmans en 1992-1993 qui ont fait près de 900 morts.
-
une série de sept attentats à l'explosif commis quasi-simultanément en fin de journée à l'heure de pointe dans des gares et trains de banlieue de la ville et planifiée par des extrémistes musulmans.
-
une série de 10 attentats visant notamment des hôtels de luxe dans le sud de la ville en décembre 2008 faisant près de 200 victimes. Les relations entre hindous et musulmans restent depuis lors tendues.
Ces attentats témoignent à la fois :
-
des tensions entre hindous et musulmans depuis l'indépendance et la partition du pays en 1948 (Inde/Pakistan).
-
Des tensions liées aux inégalités exacerbées par le processus de mondialisation à l’œuvre à Mumbai et en Inde.
3. L'organisation du territoire de Mumbai.
L'organisation du territoire se caractérise par
-
la concentration des quartiers d'affaires au sud : les banques et les bureaux du quartier du Fort, desservi par les deux terminaux ferroviaires, côtoient les quartiers aisés et aérés.
-
les anciens quartiers ouvriers au centre et la zone suburbaine au nord qui continue de s'étendre. Cinq kilomètres au Nord est située la vieille ville commerçante. Des quartiers comme Girgaum et Byculla, sont typiques de ces centres populaires et surpeuplés nés au siècle dernier.
Rue dans le quartier populaire de Girgaon
-
les activités industrielles sont concentrées au Nord depuis l’aéroport jusqu’à Thane
L'organisation spatiale de la métropole peut aussi être définie selon une double opposition :
-
Nord/Sud : port et centre des affaires localisés à la pointe de la presqu’île / banlieues situées au Nord et se développant le long des voies ferrées (6 millions de voyageurs / jour)
-
Est/Ouest : quartiers les plus aisés le long du littoral, quartiers ouvriers et pauvres à l’Est