L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale - Vocabulaire
Publié le 1 Mars 2024
L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale
Pour compléter le cours sur "l'historien et les mémoires de la 2nde Guerre mondiale", voici les définitions de quelques termes et notions essentiels sur le sujet.
Oradour-sur-Glane, lieu de mémoire de la 2nde Guerre mondiale.
Amnistie :
Notion juridique définie en droit comme « l'acte qui dispose que des fautes passées devront être oubliées et qui interdit à quiconque de les rechercher ou de les évoquer sous peine de sanctions ». Le terme vient du grec ancien amnêstia qui signifie « oubli ». Après la 2ème Guerre mondiale, trois lois d'amnistie sont votées en France : celle de 1947 concernant principalement les délits mineurs commis pendant l'occupation; celle de 1951 qui bénéficie aux personnes condamnées à la dégradation nationale ainsi qu'aux « malgré-nous » alsaciens et mosellans; celle de 1953 enfin, qui annule presque toutes les peines prononcées précédemment sauf pour les actes les plus graves (crime de guerre, viol...). Ces lois ont suscité des débats, des oppositions et sont loin d'avoir été votées à l'unanimité (la 2nde loi d'amnistie ayant par exemple été adoptée par seulement 327 voix contre 263). Ces lois d’amnistie ont pour objectif de clore définitivement la période de l'occupation et d’œuvrer à l'unité nationale en enterrant les divisions et rancœurs du passé.
Commémoration :
Cérémonie officielle organisée pour conserver le souvenir d'un événement important du passé. Les commémorations s'inscrivent dans la mémoire collective (commémorare, « se rappeler ensemble ») et participent de la construction de la conscience et de l'identité nationale. En France, il existe quatre journées nationales commémoratives pour la seule Seconde Guerre mondiale :
- le 8 mai (fin de la guerre en Europe)
- la « journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation » instaurée en avril 1954 et qui est célébrée le dernier dimanche d’avril,
- le 16 juillet (anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv de 1942) instaurée en février 1993 pour commémorer « les persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité du gouvernement de l’État français »
- le 27 janvier (libération du camp d’Auschwitz), « journée de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité », instaurée sous l’égide du Conseil de l’Europe en octobre 2002.
Si les commémorations s'inscrivent bien dans le cadre du « devoir de mémoire », elles constituent aussi par leur fonction patriotique et politique un outil au service de ceux qui commémorent, quitte à idéaliser le passé et entretenir des mythes. Les multiples commémorations en l’honneur de la Résistance pendant les années 1950-60 ont ainsi largement contribué à la diffusion du mythe résistancialiste gaulliste et au refoulement de la collaboration.
Plaque commémorative de la Rafle du Vel d'Hiv (juillet 1942), jardin du souvenir (8 boulevard de Grenelle)
Concurrence mémorielle (ou concurrence des mémoires) :
On parle de concurrence mémorielle lorsque des groupes de population se disputent des attentions particulières et/ou les faveurs de la loi pour la reconnaissance de leurs souffrances. Cette attitude est pour le philosophe Régis Debray une forme d'abus du devoir de mémoire. Elle tend à remettre en cause la cohésion nationale de nos sociétés en donnant une valeur identitaire aux traumatismes du passé. Ces excès du devoir mémoriel témoignent dans une certaine mesure d'une instrumentalisation de la mémoire, pour demander des comptes ou se poser comme accusateur et créancier.
Crime contre l'humanité :
Qualification juridique qui apparaît pour la première fois en 1945 dans les statuts du Tribunal militaire international de Nuremberg. Cette nouvelle incrimination était destinée à juger les responsables des atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale, en particulier de ce qu'on appellera plus tard la Shoah (elle sera également retenue pour assigner des hauts dirigeants du régime Showa devant le Tribunal de Tokyo). Née dans un contexte historique particulier, cette incrimination ignore le principe fondamental de non-rétroactivité des lois pénales (généralement, en droit, on ne peut pas accuser un individu d'un acte commis avant que ne soit adoptée la loi interdisant et punissant cette acte) et est imprescriptible. Le crime contre l’Humanité est ainsi défini par l’article 6c du statut du Tribunal de Nuremberg comme « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile ».
Cette notion de crime contre l'humanité reste encore aujourd'hui complexe et regroupe plusieurs incriminations. Pour la Cour Pénale Internationale, les crimes contre l'humanité « incluent des actes commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. La liste de ces actes recouvre, entre autres, les pratiques suivantes : meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation ou transfert forcé de population, emprisonnement, torture, viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, (…), crime d’apartheid et autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale ».
Responsables nazis pendant le procès de Nuremberg (1945).
Devoir de mémoire :
Devoir moral d'entretenir le souvenir des souffrances subies dans le passé par certaines catégories de la population. Il est invoqué et mis en œuvre par les autorités de l’État (à l'occasion de commémorations, de journées du souvenir...), par la représentation nationale (par le vote de lois mémorielles) et par des associations qui veulent faire reconnaître et transmettre la mémoire de leurs souffrances.
Le devoir de mémoire diffère de certaines cérémonies nationales commémoratives organisées par les Etats pour rappeler et célébrer le « sacrifice » de leurs « martyrs » et « héros ».
Le « devoir de mémoire » est parfois perçu comme une injonction par des historiens et des philosophes et de fait remis en cause pour son caractère officiel et imposé. Paul Ricoeur parle ainsi de « mémoire obligée », Henry Rousso souligne qu'il est aussi un « devoir de vérité » et Pascal Ory dénonce les risques d'une confusion entre mémoire et histoire.
Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) :
Le gouvernement provisoire de la République française est créé officiellement à Alger le 3 juin 1944. De la fin du régime de Vichy (aout 1944) à l'entrée en vigueur de la constitution de la IVème République (27 octobre 1946), il est le gouvernement officiel de la France, reconnu par les puissances étrangères en octobre 1944, dirigé par Charles de Gaulle et composé de résistants. Son œuvre est immense : il proclame toutes les décisions prises sous le régime de Vichy comme « nulles et non avenues », rétablit la légalité républicaine et le fonctionnement de l’État sur le territoire, organise l'épuration et juge les collaborateurs, entame la reconstruction du pays et fait adopter d'importantes réformes sociales (droit de vote des femmes en octobre 1944, sécurité sociale, allocations familiales...)
Le 1er gouvernement du GPRF (au centre, de Gaulle)
Historiographie :
L’objet de l’historiographie est d’explorer les conceptions de l’histoire, les pratiques et les manières de faire des historiens : comment ils interrogent le passé, avec quels outils et pour en comprendre quoi. L'historiographie a donc pour objet d'étude l'écriture de l'histoire, ce qui en fait la « science de l'histoire ». L'étude de l'écriture de l'histoire de la 2nde Guerre mondiale relève clairement d'un travail historiographique.
Imprescriptibilité :
Qui ne peut pas être effacé par le temps. En général, en droit, les crimes et les délits sont prescriptibles, autrement dit un individu ne peut plus être accusé après l'écoulement d'une certaine durée (qui est fonction de la gravité du crime ou du délit). Toutefois, il existe quelques crimes dit imprescriptibles, c'est à dire que l'on peut toujours juger quelque soit l'époque où ils ont été commis. C'est par exemple le cas des crimes contre l'humanité.
Lieu de mémoire :
Ils constituent l’ensemble des repères culturels, lieux, pratiques et expressions issus d’un passé commun. Ces lieux sont liés à certains événements exceptionnels du passé, souvent intervenus dans un contexte traumatique et dont la collectivité a choisi d'entretenir le souvenir. Ils représentent un ensemble assez hétérogène (sites historiques, mémoriaux, musées d'histoire, nécropoles nationales, etc.) dans lequel on trouvera aussi bien des lieux où se sont effectivement déroulés des événements importants (par exemple un champ de bataille - à proximité duquel seront généralement enterrés les corps des soldats tombés lors de l'affrontement) que des monuments symbolisant des événements ne s'étant pas forcément déroulés sur place (tel est souvent le cas d'un mémorial).
Ce concept a été développé par l'historien Pierre Nora pour qui « les lieux de mémoire, ce sont d’abord des restes. (…) Musées, archives, cimetières et collections, fêtes, anniversaires, traités, procès-verbaux, monuments, sanctuaires, associations, ce sont les buttes témoins d’un autre âge, des illusions d’éternité. (…). Un lieu de mémoire dans tous les sens du mot va de l'objet le plus matériel et concret, éventuellement géographiquement situé, à l'objet le plus abstrait et intellectuellement construit ».

Cérémonie à Drancy en mémoire des victimes de la rafle du Vel' d'Hiv de 1942 (2012)
Loi mémorielle :
Loi déclarant et même imposant le point de vue officiel d'un État sur des événements historiques. La mémoire devient ainsi un objet juridique. Pour l’État, il s'agit de reconnaître les souffrances héritées du passé, d'en interdire la négation et d'offrir une réparation symbolique aux victimes. Il en existe actuellement 4 : la loi Gayssot de 1990 qui condamne les propos négationnistes, les lois de 2001 sur le génocide arménien et sur l'esclavage et celle de 2005 sur la colonisation.
Extrait de la loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » :
« Article 4. (rédaction initiale) – Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.
Ces lois et leur efficacité sont fréquemment contestées, notamment par les historiens qui y voient une entrave à leur liberté de recherche et une prise de contrôle de leur discipline et de leur travail par l’État. Ils lancent d’ailleurs un appel en décembre 2005 où ils affirment : « l’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant . » ; (…) « l’histoire n’est pas la mémoire. L’historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits. L’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit pas. » ; (…) « L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un État libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’État, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire ».
En outre, ces lois mémorielles sont également critiquées dans la mesure où elles marquent une forme d'aboutissement juridique du processus de « concurrence mémorielle » et renforce cette concurrence entre les différents groupes formant la société.
Affiche lors d'un manifestation contre un projet de loi mémorielle
Milice française :
Organisation para-militaire créée en janvier 1943 par le gouvernement de Vichy pour lutter contre la Résistance (considéré par les autorités françaises comme terroriste) et pour suppléer la Gestapo dans sa traque des juifs, des réfractaires du STO et des autres "ennemis" du régime. Dirigé par Joseph Darnand, la milice est une organisation de type fasciste (antisémite, anticommuniste, antilibérale, révolutionnaire) qui joue aussi un rôle de police politique et de force de maintien de l'ordre. La milice se livre à des procès sommaires et à des exécutions (comme pour l'ancien ministre du Front populaire Jean Zay dont les cendres ont été récemment transférées au Panthéon), à de la torture, à la délation et elle contribua à l'organisation de rafles. De janvier à août 1944, elle livre une véritable guerre civile à la Résistance.
ordonne la dissolution de la Milice en août 1944 ; les miliciens furent la cible privilégiée de l'épuration sauvage d'après guerre puis de l'épuration légale. J. Darnand est jugé, condamné à mort et exécuté en octobre 1945. Paul Touvier, le chef de la Milice lyonnaise, fut le premier condamné français pour crime contre l'humanité en 1994.
Carte de milicien français
Négationnisme :
Néologisme créé en 1987 par l'historien Henry Rousso pour désigner le fait de contester la réalité du génocide des Juifs par l'Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Le négationnisme consiste ainsi à prétendre, soit qu'il n'y a pas eu d'intention d'exterminer les Juifs, soit que les moyens de réaliser cette extermination (notamment les chambres à gaz) n'ont pas existé, soit enfin que l'ampleur des victimes est exagérée. Par la suite, le négationnisme désigne la contestation ou la minimisation des crimes contre l'humanité condamnés par le Tribunal de Nuremberg. Dans cette perspective, le génocide juif serait une invention de la propagande alliée, principalement juive et tout particulièrement sioniste pour en tirer profit (par exemple pour obtenir la création d'un État juif).
Les négationnistes se qualifient eux-mêmes de « révisionnistes » dans la mesure où ils « révisent » le savoir historique. Si le révisionnisme de l’histoire est une démarche classique chez les scientifiques, le négationnisme correspond davantage à une idéologie qu'à une véritable démarche critique. En effet, les procédés utilisés par les négationnistes relèvent du mensonge, de la dissimulation ou encore de l’exagération (pour eux par exemple, si un témoin a menti alors tous les témoins peuvent avoir menti!). Le négationnisme révèle une volonté de réhabiliter le IIIème Reich, un antisémitisme profond et une détermination à nier la légitimité à l'existence de l’État d’Israël.
Par extension, le terme est régulièrement employé pour désigner la négation, la contestation ou la minimisation d'autres faits historiques qu'on pourrait aussi qualifier de crimes contre l'humanité. La loi Gayssot (1990) permet de condamner des personnes pour « négation de crimes contre l’humanité ».
Repentance :
La repentance est la reconnaissance publique d'une faute pour laquelle on demande le pardon. Dans le cas des « mémoires de la 2nde Guerre mondiale », il s'agit d'une repentance officielle, celle de l’État, pour son implication dans les crimes commis pendant le conflit. Dans son discours de juillet 1995, le président Jacques Chirac reconnaissait ainsi la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs de France. La repentance parfois critiquée car elle affaiblirait l’État et menacerait l'unité nationale. Nicolas Sarkozy déclara ainsi vouloir « en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres ».
Résistancialisme :
Néologisme créé en 1987 par l'historien français Henry Rousso pour désigner le mythe développé surtout par les gaullistes et communistes selon lequel les Français auraient unanimement et naturellement résisté depuis le début de la Seconde Guerre mondiale. On peut schématiquement distinguer 3 types de résistancialisme (gaulliste, communiste et maréchaliste). Cette vision/mémoire de la guerre s'est largement imposée de la libération jusqu'aux années 1970 ; le mythe de la France unie et résistante est d'ailleurs encore vivace aujourd'hui.
Jean Moulin, symbole de la Résistance et de l'unité de la France
Révisionnisme :
Pour les historiens, le révisionnisme est un terme sans connotation particulière qui désigne une démarche critique consistant à réviser de manière rationnelle et objective certaines opinions couramment admises en histoire, que ce soit par le grand public ou même par des historiens. Il se fonde sur un apport d'informations nouvelles, un réexamen des sources et propose une nouvelle interprétation (une ré-écriture) de l'histoire. Les négationnistes se qualifient eux-même de révisionnistes.
Service du Travail Obligatoire (STO) :
Série de lois promulguées par le gouvernement de Vichy entre 1942 et 1943 permettant la réquisition et le transfert vers l'Allemagne de travailleurs français. Ces derniers devaient participer à l’effort de guerre allemand, la main d’œuvre étant largement mobilisée dans l'armée. Au printemps 1942, Fritz Sauckel, le responsable de l'emploi dans le IIIe Reich, presse Pierre Laval de lui fournir 350 000 travailleurs. Laval négocie et institue le système de « la relève » : il s'engage à envoyer 150 000 travailleurs libres en échange du retour de 50 000 prisonniers de guerre. Mais les volontaires sont peu nombreux et seuls 1200 prisonniers
libérés. Après l'échec de la « relève » et face aux exigences croissantes de Sauckel, Laval se résout à organiser le STO en février 1943. Le total des départs de travailleurs du STO pour l'Allemagne s'élève fin 1944 à plus de 600 000. La mise en place du STO a toutefois bénéficié à la résistance, nombreux étant ceux qui ont préféré prendre le maquis plutôt que partir en Allemagne. Il demeure que le gouvernement de Vichy est le seul gouvernement européen à avoir livré ses propres travailleurs aux nazis.
Affiche pour le STO (1943)