Le gouvernement facilite l’accès aux archives de Vichy et de l’épuration (Le Monde.fr)

Publié le 1 Mars 2024

Pour compléter le cours sur "l'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale", nous vous proposons ici un article du journal le Monde daté du 29 décembre 2015. Celui-ci revient sur un arrêté publié le 27 décembre au Journal Officiel qui facilite l'accès des historiens aux archives de Vichy et de l'épuration. Il nous rappelle ainsi que l'histoire de ces "heures sombres" du pays, aujourd'hui largement connue et acceptée (comme en témoigne d'ailleurs cette décision gouvernementale), est encore en partie à écrire.

D'un point de vue plus pragmatique (c'est à dire dans l'optique du bac), cette actualité peut constituer une accroche intéressante pour une composition ou un commentaire de document. Bonne lecture.

 

Une archive : le texte du projet sur le statut des juifs annoté par P. Pétain en 1940 et découvert en 2010.

Le texte vise tous les juifs, français ou étrangers, alors que le projet initial prévoyait d'épargner "les descendants de juifs nés français ou naturalisés avant 1860"; le maréchal Pétain décidet de rayer cette mention. Pour Serge Klarsfeld, "la découverte de ce projet est fondamentale. Il s'agit d'un document établissant le rôle déterminant de Pétain dans la rédaction de ce statut et dans le sens le plus agressif, révélant ainsi le profond antisémitisme" du chef du gouvernement de Vichy. "Le principal argument des défenseurs de Pétain était de dire qu'il avait protégé les juifs français. Cet argument tombe" (Le Monde, le 03/10/2010).

 

 

Le gouvernement facilite l’accès aux archives de Vichy et de l’épuration

"C’est un bref arrêté, quelques paragraphes publiés dimanche 27 décembre au Journal officiel, qui facilitera la tâche des historiens spécialistes des années sombres. Cosigné par Manuel Valls, Laurent Fabius, Christiane Taubira, Jean-Yves Le Drian, Bernard Cazeneuve et Fleur Pellerin, le texte prévoit « la libre consultation, avant l’expiration des délais prévus [dans le] code du patrimoine, d’archives relatives à la seconde guerre mondiale émanant principalement des ministères des affaires étrangères, de la justice et de l’intérieur ».

Au total, des milliers de documents sont concernés. Il s’agit notamment des archives des juridictions d’exception instaurées par le régime de Vichy puis par le Gouvernement provisoire de la République française, des dossiers d’enquêtes réalisées par la police judiciaire pendant la guerre, mais aussi des documents relatifs à la poursuite et au jugement des criminels de guerre dans les zones d’occupation française en Allemagne et en Autriche. Tout un pan de la mémoire judiciaire et policière de l’Occupation, en somme, mais aussi de l’« épuration » qui suivit la Libération.

La décision du gouvernement est l’aboutissement d’un combat engagé au printemps par des spécialistes de la période déplorant les excès bureaucratiques qui entravaient leurs recherches. Dans une lettre adressée au président de la République peu avant le 70e anniversaire du 8-Mai 1945 et signée par plus d’une centaine d’universitaires, ceux-ci pointaient deux obstacles. Le premier concernait le problème des « dérogations », autrement dit le fait de devoir formellement demander aux administrations concernées l’autorisation de consulter tel ou tel document. Une pratique qui, selon eux, « soumet les chercheurs à une paperasserie permanente et fastidieuse, et nécessite des délais d’attente ». Le second obstacle était lié à l’évolution de la législation sur les archives qui, depuis un texte voté en 2008, avait eu pour conséquence de refermer l’accès aux fonds de la police judiciaire en les rendant consultables au bout de soixante-quinze ans et non plus de soixante ans, comme c’était le cas auparavant.

 

« Ne pas s’attendre à des scoops incroyables »

 

La réponse de François Hollande n’a pas tardé. Le 8 mai, deux jours après un rendez-vous organisé à l’Elysée avec deux des historiens à l’origine du mouvement, Gilles Morin et Sophie Cœuré, le chef de l’Etat profita de la remise des prix du concours national de la Résistance et de la déportation pour annoncer la publication d’une circulaire permettant que « les archives publiques, principalement celles du ministère de l’intérieur, relatives à la période 1940-1945, [soient] rendues accessibles aux historiens ». Sept mois plus tard, c’est donc chose faite.

Pour la connaissance historique, quelles seront les conséquences de cette décision ? Sur ce point, les spécialistes de la période se veulent nuancés. C’est le cas de Henry Rousso, ancien directeur de l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) et auteur de nombreux travaux sur la mémoire de la seconde guerre mondiale. « Il ne faut pas croire que cela va tout à coup donner accès à des millions d’archives secrètes jusque-là cadenassées. Beaucoup de documents concernés ont déjà été consultés par les chercheurs. Mais cela va fluidifier le travail en permettant de surmonter les lenteurs et les blocages des administrations générés par le système des dérogations individuelles », explique l’historien. Celui-ci se souvient des difficultés qu’il rencontra quand il travaillait, au début des années 1990, sur l’épuration.

« Il ne faut pas s’attendre à des scoops incroyables », confirme Gilles Morin, chercheur associé au Centre d’histoire sociale du XXe siècle (université Paris-I-CNRS). Pour cet historien, qui travaille sur le Rassemblement national populaire, un parti engagé dans la Collaboration fondé en 1941 par l’ancien socialiste Marcel Déat, la décision du gouvernement devrait avoir pour principal mérite de stimuler des recherches jusque-là considérées comme périlleuses.

« Vu la difficulté d’accès à certaines sources, on réfléchissait à deux fois avant de mettre les étudiants sur certains sujets. Désormais, il y aura moins d’hésitation », explique Gilles Morin, qui cite notamment le cas de la Cagoule, un groupe d’extrême droite des années 1930 dont les membres suivirent des itinéraires très différents après la défaite de 1940 et dont l’histoire devrait désormais être plus simple à écrire.

Thomas Wieder, Le Monde, le 29/12/2015

 

 

 

Rédigé par Team Histoire-Géo

Publié dans #Term HGGSP

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article