Les présidents des Etats-Unis et le monde : 1989-2016 (3ème partie)
Publié le 6 Mars 2020
Pour compléter vos révisions, nous vous proposons un bref rappel des différentes stratégies diplomatiques mises en œuvre par les présidents américains successifs. Ces "doctrines", qui ont déterminé la nature des relations entre les États-Unis et le monde depuis le milieu du XIXème siècle, témoignent des enjeux et des évolutions de la politique extérieure américaine ainsi que des grands courants de pensée qui la fondent :
- opposition entre interventionnisme et isolationnisme
- opposition entre réalisme et idéalisme
- opposition entre unilatéralisme et multilatéralisme
Source principale : http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usa1.htm
- George Bush et le « Nouvel Ordre Mondial » (1989-1993)
Entre 1989 (chute du mur de Berlin, effondrement des régimes communistes dans les Démocraties Populaires d'Europe de l'est) et 1991 (disparition de l'URSS), l'ordre bipolaire né de la Guerre Froide disparait et fait place à un système unipolaire dominé par les États-Unis. C'est au républicain George H. W. Bush qu'il revient de définir les contours de ce « Nouvel Ordre Mondial ». Il favorise tout d'abord le rapprochement avec l'ancien ennemi soviétique en soutenant la réunification allemande et en maintenant le dialogue avec M. Gorbatchev. Bush sénior, pourtant proche des « réalistes » reaganiens, engage une politique diplomatique plutôt wilsonienne dans ses intentions, reposant sur le respect du droit international et sur le multilatéralisme à travers la réactivation de l'ONU comme institution centrale dans la gestion des crises internationales. Toutefois, ne pouvant occulter l'hégémonie économique, militaire, culturelle et technologique de son pays, il tend à en faire un véritable « gendarme du monde », régnant avec « bienveillance » sur un empire à l'échelle du monde. C'est dans cet esprit qu'en 1990, les États-Unis mènent une coalition sous la bannière de l'ONU pour repousser Saddam Hussein hors du Koweït. Ils mobilisent pour cette opération « tempête du désert » plus de 500 000 hommes (environ 60% du total des troupes engagées), 6 porte-avions, 2000 véhicules blindés, 1500 hélicoptères..., faisant ainsi la démonstration de leur « hyperpuissance » et de leur capacité à organiser et à diriger le monde. Cependant, cette intervention et l'implantation de troupes étasuniennes sur la « terre sainte » d'Arabie Saoudite est en partie à l'origine d'un sentiment anti-américain de plus en plus fort, notamment au Moyen-Orient.
Dessin de presse évoquant la stratégie contre l'Irak, 1991
« (...) Nous nous trouvons aujourd’hui à un moment exceptionnel et extraordinaire. La crise dans le golfe Persique, malgré sa gravité, offre une occasion rare pour s’orienter vers une période historique de coopération. De cette période difficile (...) un nouvel ordre mondial peut voir le jour : une nouvelle ère, moins menacée par la terreur, plus forte dans la recherche de la justice et plus sûre dans la quête de la paix. Une ère où tous les pays du monde, qu’ils soient à l’Est ou à l’Ouest, au Nord ou au Sud, peuvent prospérer et vivre en harmonie. Une centaine de générations [a] cherché cette voie insaisissable qui mène à la paix, tandis qu’un millier de guerres [a] fait rage à travers l’histoire de l’homme. Aujourd’hui, ce nouveau monde cherche à naître. Un monde tout à fait différent de celui que nous avons connu. Un monde où la primauté du droit remplace la loi de la jungle. Un monde où les États reconnaissent la responsabilité commune de garantir la liberté et la justice. Un monde où les forts respectent les droits des plus faibles. (...)
Les États-Unis et le monde doivent défendre leurs intérêts communs vitaux. Et ils le feront.
Les États-Unis et le monde doivent soutenir la primauté du droit. Et ils le feront.
Les États-Unis et le monde doivent se dresser contre l’agression. Et ils le feront.
Et une dernière chose : dans la poursuite de ces objectifs, les États-Unis ne se laisseront pas intimider. (...)
Les récents évènements ont certainement montré qu’il n’existe pas de substitut au leadership américain. Face à la tyrannie, que personne ne doute de la crédibilité et du sérieux des États-Unis. Que personne ne doute de notre détermination. Nous défendrons nos amis. (...) »
George Bush, « Discours précédant une session commune du Congrès relative à la crise du Golfe persique et au déficit du budget fédéral », 11 septembre 1990.
- Clinton : « enlargement » et « soft power » (1992-2001)
Les démocrates reviennent au pouvoir en 1992 avec l'élection de Bill Clinton. « Wilsonien pragmatique », le nouveau président poursuit globalement la politique de son prédécesseur. Les États-Unis sont ainsi confortés dans leur rôle de « gendarme du monde » (comme en témoignent les accords de paix israélo-palestinien signés à Washington en 1993) et , malgré une baisse du budget de la défense, multiplie les interventions militaires (opération « Restore Hope » en Somalie en 1992, bombardement au Kosovo en 1999...). Toutefois, pendant cette période de « pax americana », Clinton a de plus en plus recours à l'unilatéralisme (via l'OTAN) et l'engagement des troupes américaines reste sélectif (ils n'interviennent par exemple pas lors du génocide rwandais de 1994). Parallèlement, le président démocrate mène une politique « d'enlargement » qui consiste à favoriser la diffusion de la démocratie et du capitalisme libérale dans le monde. Il participe ainsi à la création de l'ALENA (1995) et appuie la candidature de la Chine à l'OMC (2001). Il développe enfin le « Soft Power » de son pays, concept élaboré par Joseph Nye (secrétaire adjoint à la Défense de 1994 à 1995) et défini comme « la capacité d’arriver à ses fin par un pouvoir de séduction et d’attirance, plutôt que par la menace ou la marchandage ». Clinton étend ainsi le concept de sécurité nationale à la sphère économique et culturelle.
« Notre stratégie de sécurité nationale est donc fondée sur l’objectif d’élargir la communauté des démocraties de marché tout en dissuadant et en limitant la gamme des menaces qui pèsent sur notre nation, nos alliés et nos intérêts. Plus la démocratie et la libéralisation politique et économique s’imposeront dans le monde, notamment dans les pays d’importance stratégique pour nous, plus notre nation sera en sécurité et plus notre peuple sera susceptible de prospérer ».
Extrait du document Stratégie de sécurité nationale présenté par le Conseil de sécurité Nationale de l’administration Clinton (1994 et 1996)
« (...) Une nouvelle fois, la crise du Kosovo illustre ce qui commence à ressembler à une « doctrine Clinton » : le recours à la guerre aérienne, en dépit de toutes ses limites, comme instrument d’une politique étrangère américaine qui vise à préserver la crédibilité de la seule superpuissance de l’après-guerre froide, tout en minimisant les risques de l’intervention pour l’armée américaine (le « zéro pertes »). La guerre, aux objectifs limités (« endommager la capacité militaire » de l’ennemi), est menée avec les moyens que met à la disposition des stratèges la révolution technologique de l’armement. À quatre reprises en un an, Clinton a déclenché le feu du ciel, sous la forme de missiles de croisière Tomahawk ou de bombardiers B52. Le Soudan et l’Afghanistan ont été frappés en août 1998, l’Irak en décembre, et continue de l’être quotidiennement. La Serbie fait la même expérience aujourd’hui.
L’ambiguïté, certains disent l’impuissance, de cette doctrine a ses racines dans les motivations contradictoires de l’engagement américain. « Les Américains constatent qu’il se passe des choses terribles dans le monde, et se disent qu’il faut faire quelque chose », explique dans le Wall Street Journal Joseph Nye, professeur à l’université de Harvard, « mais ils ne sont pas sûrs du prix qu’ils sont prêts à payer » pour répondre à l’« impératif moral » que Bill Clinton invoque depuis le début de la crise au Kosovo comme la motivation première des frappes contre la Serbie. L’impératif moral est en fait équilibré par un autre réflexe au moins aussi puissant : l’égoïsme sacré qui pousse les Américains à refuser de voir « les boys rentrer dans des sacs à viande », surtout du bout du monde. »
Patrick Sabatier, « Se poser en superpuissance sans risquer la vie des boys. L’Amérique soutient la « doctrine Clinton » », in Libération, 29 mars 1999.
- George W. Bush contre « l'axe du mal »
La politique extérieure menée par G.W. Bush résulte très largement des attentats du 11 septembre 2001. Au départ relativement peu intéressé par les questions internationales et plutôt favorable à un isolationnisme modérée, Bush se voit dans l'obligation de réagir à cette attaque et au traumatisme qui en découle. Poussés par ses conseillers (les « faucons » néo-conservateurs omniprésents dans son administration), il définit une doctrine claire servie par des formules chocs et manichéennes : lutter contre toute forme de terrorisme et de menaces (les islamistes en particulier et les « États-voyous » en général), maintenir la suprématie américaine (surtout dans le domaine militaire), protéger et diffuser les valeurs morales et politiques de son pays. Pour Bush, les États-Unis doivent ainsi assumer leur « mission divine » de rendre le monde meilleur en luttant pour la « défense de la civilisation » contre « l'axe du mal » (pays qui soutiennent le terrorisme et cherchent à se doter d'armes de destruction massive, parmi lesquels figurent la Corée du nord, l'Iran et l'Irak). Reprenant en partie les thèses de Samuel Huntington sur le « choc des civilisations », le président endosse son costume de chef de guerre et se lance dans ce qu'il nomme lui-même une « croisade » contre les « ennemis de l'Amérique ». Il engage tout d'abord ses soldats en Afghanistan (2001) au sein d'une coalition aux couleurs de l'ONU afin de renverser le régime des Talibans et de détruire l'organisation Al-Qaïda, puis en Irak en 2003, mais cette fois sans le soutien des Nation Unies et même contre l'avis de l'opinion internationale et de puissances comme la France ou l'Allemagne. Cette deuxième guerre du Golfe, légitimée par le concept de « guerre préventive » (Saddam Hussein représentant une menace pour son peuple et pour la paix), témoigne de la tendance à l'unilatéralisme de l'administration Bush à cette époque et donc de son mépris vis à vis des institutions et des règles internationales. Cet unilatéralisme se retrouve aussi dans le refus de faire ratifier et appliquer le Protocole de Kyoto de 1997 et dans celui de reconnaître la Cour Internationale de Justice. En pratiquant un interventionnisme musclé associé à une idéologie forte, en alliant la puissance et la morale, en mêlant l'idéalisme wilsonien au réalisme rooseveltien, le président républicain a créé une doctrine politique que le spécialiste des relations internationales Pierre Hassner qualifie de « wilsonisme botté ». Efficace sur plan militaire, cette stratégie le sera moins sur le long terme, les États-Unis n'ayant pas réussi à instaurer la démocratie en Irak et en Afghanistan et ayant dégradé un peu plus encore leur image dans le monde Arabe.
George W. Bush
"Alors que nous sommes réunis ici ce soir, notre pays est en guerre, notre économie est en récession, et le monde civilisé doit faire face à des dangers sans précédent. Et pourtant, notre Union n’a jamais été aussi solide. Lors de notre dernière réunion, nous étions sous le choc et en proie à la souffrance. En quatre mois à peine, notre pays a réconforté les victimes, commencé à reconstruire New York et le Pentagone, formé une grande coalition, capturé, arrêté et mis hors d’état de nuire des milliers de terroristes, détruit des camps d’entraînement de terroristes en Afghanistan, sauvé un peuple de la famine et libéré un pays d’une oppression brutale. [...]
Des milliers de tueurs dangereux, rompus aux méthodes de l’assassinat, souvent soutenus par des régimes hors-la-loi, sont aujourd’hui disséminés un peu partout dans le monde, véritables bombes à retardement prêtes à exploser sans avertissement [...]
Premièrement, nous devons fermer les camps d’entraînement, déjouer les plans des terroristes et faire comparaître ces derniers devant la justice. Deuxièmement, nous devons empêcher les terroristes et les gouvernements qui cherchent à se doter d’armes chimiques, biologiques ou nucléaires de menacer les États-Unis et le monde. [...] La Corée du Nord a un gouvernement qui s’équipe de missiles et d’armes de destruction massive tout en affamant sa population. L’Iran s’emploie activement à fabriquer de telles armes et exporte le terrorisme tandis qu’une minorité non élue étouffe l’espoir de liberté du peuple iranien. L’Irak continue à afficher son hostilité envers les États-Unis et à soutenir le terrorisme. [...] De tels États constituent, avec leurs alliés terroristes, un axe maléfique [ou axe du mal] et s’arment pour menacer la paix mondiale. […]
Notre guerre contre le terrorisme est déjà bien engagée, mais elle ne fait que commencer. [...]
L’Amérique sera le champion de la défense de la liberté et de la justice, parce que ces principes sont justes, vrais et inaliénables pour tous les peuples du monde. [...]
En un instant, nous nous sommes rendus compte que cette décennie serait décisive dans l’histoire de la liberté et que nous étions appelés à jouer un rôle exceptionnel dans le cours des événements de l’humanité. Rarement le monde a eu à faire face à un choix aussi clair et dont les effets sont aussi importants."
Discours de George W. Bush sur l’état de l’Union, 29 janvier 2002
Bush et les "faucons". Dessin de presse de John Darkow, Columbia Daily Tribune, 2007
« Les Etats-Unis s’efforceront constamment d’attirer le soutien de la communauté internationale, mais n’hésiteront pas à agir seuls, si nécessaire, afin d’exercer leur droit à la défense, en agissant de façon préventive contre les terroristes, dans le but de les empêcher de causer des dommages au peuple américain et au pays ».
Stratégie de Sécurité Nationale de l’administration Bush en 2002
- Le « new beginning » d'Obama...