Les présidents des Etats-Unis et le monde : 1823-1947 (1ère partie)
Publié le 6 Mars 2020
Pour compléter vos révisions, nous vous proposons un bref rappel des différentes stratégies diplomatiques mises en oeuvre par les présidents américains successifs. Ces "doctrines", qui ont déterminé la nature des relations entre les États-Unis et le monde
, témoignent des enjeux et des évolutions de la politique extérieure américaine ainsi que des grands courants de pensée qui la fondent :- opposition entre interventionnisme et isolationnisme
- opposition entre réalisme et idéalisme
Source principale : http://www.thucydide.com/realisations/comprendre/usa/usa1.htm
- La Doctrine Monroe (1823)
Au lendemain de la Seconde guerre d'indépendance (1812-1814), le président républicain James Monroe expose la doctrine qui fixera pour plus d'un siècle les fondements de la politique extérieure des États-Unis. Dans son discours au Congrès de 1823, il affirme ainsi que le continent américain n'est plus ouvert à la colonisation et que toute intervention des puissances européennes sera considérée par les États-Unis comme une menace pour leur sécurité et pour la paix. En contre-partie il s'engage à ne jamais faire intervenir son pays dans les affaires européennes. Cette doctrine, qui peut se résumer par la formule « aux européens le vieux continent, aux américains le nouveau monde », définit ainsi des « sphères d'influence » distinctes. En affirmant l'indépendance et la souveraineté de son pays, ainsi que son droit à jouer les protecteurs pour l'ensemble du continent, Monroe inaugure l'isolationnisme yankee et trace les limites de sa « chasse-gardée ».
Dessin de presse illustrant la doctrine Monroe (1912)
« La politique que nous avons adoptée à l'égard de l'Europe dès le commencement des guerres qui ont agité cette partie du monde est toujours restée la même : elle consiste à ne jamais nous interposer dans les affaires intérieures d'aucune des puissances de l'ancien monde, à considérer le gouvernement de fait comme légitime relativement à nous. (…). Dans les guerres entre puissances européennes, nées de difficultés qui ne regardent qu'elles-mêmes, nous n'avons pris aucune part, et notre politique est de pratiquer l'abstention. C'est seulement quand nos droits sont attaqués on sérieusement menacés, que nous ressentons nos injures et faisons des préparatifs pour notre défense. (…). Nous devons, en conséquence, à la bonne foi et aux relations amicales qui existent entre les États-Unis et les puissances [alliées] de déclarer que nous devrons considérer toute tentative de leur part pour étendre leur système à une portion quelconque de cet hémisphère comme dangereuse pour notre tranquillité et notre sécurité »
James Monroe, discours au Congrès, 2 décembre 1823
- La Destinée Manifeste (1845)
Avec la Doctrine Monroe, la notion de « Destinée Manifeste » est un des fondements essentiels de la politique étrangère des États-Unis. Le journaliste John O'Sullivan, à l'origine de la formule (1845), explique ainsi que « notre Destinée Manifeste [consiste] à nous étendre sur tout le continent que nous a alloué la Providence pour le libre développement de nos millions d’habitants qui se multiplient chaque année ». La jeune nation, en plein développement démographique, s'attribue ainsi une mission divine, celle de diffuser les valeurs de liberté, de justice et de progrès, d'abord sur son territoire puis dans l'ensemble de l'Amérique et même du monde. Ce messianisme prend ses racines dans la pensée des pères pèlerins protestants qui fuirent les persécutions de la vieille Europe pour mettre en place un mode de gouvernement « idéal, pure et parfait » sur les terres d'un « nouveau monde » considéré comme « la terre promise ». Cet « exceptionnalisme » états-unien s'est traduit dans un premier temps par la « conquête de l'ouest » (au détriment des populations amérindiennes) puis par la mise en œuvre d'un impérialisme économique, commercial et culturel d'échelle continentale puis mondiale.
"American Progress", allégorie de la Destinée Manifeste, par John Gast, vers 1872
« (…) La cavalerie chargea et les indiens tombèrent
La cavalerie chargea et les indiens périrent,
Le pays était jeune et avait Dieu de son côté.
(…)
Oh la Grande Guerre, les gars
A liquidé sa destinée
La raison de se battre je ne l'ai jamais bien comprise
Mais j'ai appris à l'accepter, l'accepter avec fierté
Car on ne compte pas les morts quand Dieu est de son côté
(...)
Durant toute ma vie on m'a appris à haïr les russes
Si une guerre à nouveau éclate ce sont eux que nous devrons combattre
Les détester, les craindre, courir et se cacher
Et accepter tout cela courageusement
Avec Dieu de mon côté. »
Bob Dylan, « With God on our Side », 1964
- Le réalisme de Théodore Roosevelt (1901-1904)
La politique étrangère de Théodore Roosevelt s'inscrit à la fois dans le prolongement de la doctrine Monroe et de la Destinée Manifeste. Sans intervenir dans les affaires européennes, le président républicain s'emploie à défendre les intérêts américains dans le monde par une politique d'investissements (la « diplomatie du dollar ») et de menaces («le Big Stick », expression employée en 1901 et inspirée d'un proverbe africain : « parle doucement et porte un gros bâton »!). Ainsi, en 1904, dans son corolaire à la « Doctrine Monroe », il affirme le devoir des États-Unis à intervenir en Amérique latine sans chercher pour autant à modifier l'équilibre des forces et l'ordre du monde. Il ne rompt donc pas avec l'isolationnisme mais définit une politique extérieure pragmatique justifiée par le messianisme yankee.
Dessin de presse de W.A. Rogers représentant Roosevelt en Gulliver (1904)
« L’injustice chronique ou l’impuissance qui résulte d’un relâchement général des règles de la société civilisée peut exiger, en fin de compte, en Amérique ou ailleurs, l’intervention d’une nation civilisée et, dans l’hémisphère occidental, l’adhésion des États-Unis à la doctrine de Monroe peut forcer les États-Unis, même à contrecœur, dans des cas flagrants d’injustice et d’impuissance, à exercer un pouvoir de police international »
(Message au Congrès du 6 décembre 1904).
- L'idéalisme wilsonien (1918-1920)
La conception de la diplomatie du président démocrate Woodrow Wilson est en rupture avec la tradition isolationniste ainsi qu'avec la politique réaliste de T. Roosevelt. Pour Wilson, les relations internationales devraient être harmonieuses et pacifiques grâce à l’obéissance des États à des règles de droit international et à un ordre garanti par des organisations supranationales. Dans son discours au Congrès en janvier 1918, ses fameux « 14 points », il énonce sa vision d'un ordre mondial fondé sur des valeurs morales progressistes et sur la coopération internationale : libre-échange, démocratie, fin de la diplomatie secrète, désarmement, création d'une Société Des Nations, droit des peuples à disposer d'eux-mêmes... Pour lui, les États-Unis, considérés comme un modèle de démocratie, doivent remplir dans ce cadre leur « Destinée Manifeste » en garantissant la paix et la prospérité dans le monde. Cette vision est en partie liée à l'avènement d'un régime bolchevique en Russie dont l'idéologie universaliste s'oppose en tout point à celle des États-Unis. Wilson fut toutefois désavoué par le Congrès qui refusa de ratifier le traité de Versailles (que Wilson avait pourtant négocié) et donc d'intégrer la SDN. L'élection de Warren Harding en 1920 (dont le slogan « Return to Normalcy » témoigne de sa volonté de rompre avec l'idéalisme wilsonien) marque le retour des États-Unis à leur traditionnel non-interventionnisme.

Dessin de presse de G.M. Adams, 1919
« Je crois que Dieu a présidé à la naissance de cette nation et que nous sommes choisis pour montrer la voie aux nations du monde dans leur marche sur les sentiers de la liberté »
Woodrow Wilson,
- Franklin Delano Roosevelt : de la politique de « bon voisinage » à « l'arsenal de la démocratie » (1932-1945)
Arrivé au pouvoir en 1932, Roosevelt cherche à rompre avec la Doctrine Monroe et son corolaire rooseveltien (Théodore, cousin de Franklin Delano) qui légitimaient l'interventionnisme yankee en Amérique latine. L'amendement Platt (qui faisait de Cuba un protectorat des États-Unis depuis 1901) est ainsi abrogé en 1934, les troupes américaines quittent le Nicaragua et Haïti la même année... Toutefois, la période des protectorats a permis aux États-Unis de mettre en place des régimes autoritaires au service de leurs intérêts comme à Cuba avec Batista (1933) ou en République Dominicaine avec Trujillo (1930). Alors que la dépression économique liée à la crise de 1929 touche de plein fouet le pays et que les crises internationales se multiplient (invasion de la Mandchourie par le Japon en 1931, arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne en 1933, invasion de l’Éthiopie par l’Italie en 1935), Roosevelt réaffirme l'isolationnisme américain par des lois de neutralité en 1935, 1936 et 1937 qui interdisent d'exporter des armes ou d'accorder des crédits aux différents belligérants.
Toutefois, avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Roosevelt engage progressivement son pays dans le conflit au nom de la défense de la démocratie. Il fait voter la loi « prêt-bail » en faveur des alliés en 1940 et fait de son pays « le grand arsenal de la démocratie ». Après l'attaque japonaise de Pearl Harbor en décembre 1941, les États-Unis entrent en guerre et deviennent les hérauts de la démocratie et de la liberté contre les fascismes. C'est dans cet esprit que Roosevelt rédige la charte de l'Atlantique avec W. Churchill en 1941 puis préside à la reconstruction du monde après-guerre, notamment avec la création de l'ONU (conférence de San Francisco de juin 1945). Roosevelt, à la tête de la première puissance mondiale, reprend donc finalement l'idéalisme wilsonien.
Roosevelt cherchant à convaincre le Congrès d'abroger les lois de neutralités (1939)
« Le Président des États-Unis et M. Churchill, (...), croient devoir faire connaître certains principes communs de la politique nationale de leurs pays respectifs sur lesquels ils fondent leurs espoirs d'un avenir meilleur pour le Monde.
Premièrement, leurs pays ne recherchent aucune expansion territoriale ou autre.(...)
Troisièmement, ils respectent le droit qu'ont tous les peuples de choisir la forme de Gouvernement sous laquelle ils entendent vivre ; et ils désirent voir restituer, à ceux qui en ont été privés par la force, leurs droits souverains.(...)
Cinquièmement, ils désirent faire en sorte que se réalise, dans le domaine économique, la plus entière collaboration entre toutes les nations, afin d'assurer à toutes de meilleures conditions de travail, le progrès économique et la sécurité sociale.(...)
Charte de l'Atlantique, 14 aout 1941
A suivre...