Etude de cas: l'Iphone, un produit mondialisé
Publié le 31 Janvier 2022
THÈME 2 GÉOGRAPHIE : LES DYNAMIQUES DE LA MONDIALISATION
Chap.1 : la mondialisation en fonctionnement
Étude de cas : L'Iphone, un produit mondialisé.
"Designed by Apple in California. Assembled in China"
En septembre dernier (2014), Tim Cook, le nouveau président d'Apple, présentait l'Iphone 6 en direct de Cupertino en Californie. Dés le premier week-end qui suivit ce lancement, véritable événement planétaire attendu par des millions de « fans » et relaté par l'ensemble des médias internationaux, plus de 10 millions d'exemplaires du nouveau smartphone était vendus dans le monde.
Leader sur le marché des smartphones depuis 2011, l'Iphone est le produit phare d'Apple. Il est aussi un produit emblématique de la mondialisation et de son fonctionnement. Sa conception, sa fabrication, son assemblage et sa diffusion témoignent des logiques d'organisation de l'espace économique mondial comme des inégalités de développement et de richesse sur le globe. Son étude nous permet ainsi de comprendre les liens d'interdépendances qui unissent aujourd'hui les différentes régions de la planète ainsi que la tendance à la mise en place (relative) d'une « culture mondiale ». L'Iphone apparaît donc comme un véritable « produit mondialisé » qui illustre les dynamiques géographiques contemporaines.
=> En quoi la production et la commercialisation de l'Iphone rendent-elles comptent de la mondialisation, de ses logiques et de ses effets ?
I – L'IPHONE, UN PRODUIT « MADE IN WORLD »;
1. Cupertino, le cœur et le cerveau de la firme Apple
L'histoire de Steve Jobs est connue. En 1976, dans le garage de la maison familiale à Los Altos (Californie), Jobs et son associé Steve Wozniak conçoivent et assemblent l'un des tout premiers ordinateurs personnels, l'Apple I. La saga de ce qui est aujourd'hui l'entreprise ayant la plus importante capitalisation boursière mondiale (environ 470 milliards de dollars) est lancée.
Apple I, 1976
Plus de 40 ans après, Apple est toujours implantée en Californie, à Cupertino, au cœur de la Silicon Valley, au sud de San Francisco et Oackland. La Silicon valley est le principal technopôle des États-Unis et de la planète : il s'agit d'un espace qui regroupe des entreprises du secteur des hautes technologies, des centres de recherche et des universités, ces activités étant en interrelation et produisant une synergie bénéfique à l'industrie de l'innovation. Outre Apple, on y trouve plus de 6000 entreprises de hautes technologies dont Facebook, Google, Intel et Yahoo, ainsi que des universités comme la prestigieuse Stanford.
La Silicon Valley
Les grandes firmes de la Silicon Valley
C'est donc au États-Unis, dans un environnement « favorable », qu'Apple conçoit et développe les Iphone. La firme profite par exemple de la présence des meilleurs ingénieurs et scientifiques de la planète (américains mais aussi asiatiques et européens, attirés par les salaires et l'effervescence intellectuelle de la Silicon Valley) pour rester à la pointe de la modernité et perpétuer sa tradition d'innovation. C'est aussi au siège sociale de l'entreprise qu'est défini le design de l'Iphone et que sont décidées les stratégies de production et de marketing.
Cupertino est donc bien à la fois le cœur (centre d'impulsion) et le cerveau d'Apple. Apple vient d'ailleurs d'y construire son tout nouveau siège social, "the ring", sorte de soucoupe volante symbole de sa puissance et de sa "philosophie" : "1,5 km de circonférence avec des façades recouvertes de 3 000 panneaux de verre. Le projet se veut écologique. Il sera autosuffisant en énergie et doté de 80 % d’espaces verts. Et, comme pour toute entreprise high-tech, il proposera une multitude de services pour le bien-être de ses salariés" (lemonde.fr, le 11.09.2017)
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Apple Park ("The ring"), siège d'Apple à Cupertino (Wikipedia Commons)
2. La dispersion des activités productives : le « Made in World ».
De « nationalité » états-unienne, les Iphones sont en réalité très largement produits en dehors du pays d'origine. En effet, les centaines de pièces qui composent le téléphone sont fabriquées à 90% à l'étranger : les semi‐conducteurs de dernière génération viennent d’Allemagne et de Taïwan, les mémoires de Corée et du Japon, les écrans et les circuits de Corée et de Taïwan, les métaux rares d’Afrique et d’Asie, l'acier de Russie... Ces éléments sont ensuite assemblés en Chine par l'entreprise taïwanaise Foxconn. Seul le processeur est entièrement fabriquée aux EU.
Origine des composants d'un Iphone
Apple profite ainsi des caractéristiques et des avantages offerts par chacune de ces régions : réserve de matières 1ère exploitables à bas coût pour l'Afrique, maîtrise technologique pour la Corée du Sud et le Japon, présence d'une main-d’œuvre abondante, docile et corvéable (flexible) en Chine... Cette dernière, en pleine émergence, permet aussi à Apple de trouver un grand nombre d'ingénieurs de qualité pour superviser l'assemblage de l'Iphone.
Apple fait ainsi appelle à plus d'une vingtaine de fournisseurs mais la plupart des usines sont implantées en Chine qui concentre de ce fait une large part de la chaîne d'approvisionnement. Le centre de la production et d'assemblage est désormais situé à Zhengzhou dans la province du Henan, la « Apple City », où Foxconn emploie près de 300 000 ouvriers !
Chaîne de montage de l'Iphone 5 (Foxconn)
=> Apple développe donc une stratégie fondée sur la concurrence et la complémentarité entre les différentes régions du globe.
Par cette stratégie, Apple profite pleinement de la Division Internationale du Travail (DIT), définie comme la spécialisation de différents pays dans un type de production pour laquelle ils disposent d'avantages comparatifs. Apple s'appuie également sur la Division Internationale des Processus Productifs, c'est à dire sur la participation de plusieurs pays aux différentes étapes de la fabrication d'un produit (jusqu'à l'assemblage finale).
La DIT selon Apple
=> Apple contribue ainsi à hiérarchiser les territoires selon un modèle centre/périphérie
Dans ce système géo-économique, les États-Unis constituent le centre moteur et créateur, les autres pays développés (Taïwan, Corée du Sud...) servent de relais dans les productions à forte valeur ajoutée (c'est à dire nécessitant un haut niveau de maîtrise technologique) et les pays-ateliers comme la Chine forment la périphérie.
3 (2009)
3. Une stratégie rendue possible par le progrès technique et la libéralisation des économies.
Dans la mesure où cette organisation de la production est à l'origine d'une multiplication des flux (flux d'investissement, de composants, de produits finis...), elle repose largement sur les progrès réalisés dans le domaine des transports, moins coûteux et plus rapides qu'auparavant grâce en particulier au développement des conteneurs (et des infrastructures portuaires qui permettent de les accueillir). Au moment de la sortie d'un nouvel Iphone, Apple fait par exemple appel à des avions cargo spéciaux pour les acheminer les téléphones en quelques jours vers les magasins (le coût de transport est de 12 euros par kg de smartphones transportés), puis à des avions cargo réguliers (le coût de transport passe à 8 euros par kg) et enfin à des transports classiques par conteneurs (2 euros par kilogramme, pour une traversée qui dure une vingtaine de jours).
Evolution des portes-conteneurs
Le succès de cette division internationale du travail repose aussi sur la diffusion du libéralisme économique et notamment sur la généralisation du libre-échange (déréglementation financière, abaissement général des taxes douanières, mise en place d'organisations régionales...) instaurée par des institutions comme l'OMC.
Membres OMC (2016)
Cette stratégie de développement économique permet de minimiser les coûts de production et donc de maximiser les profits de la maison mère. Le prix de revient d'un Iphone 5 est par exemple d'environ 170 euros, pour un prix de vente de plus de 600 dollars, l'essentiel des bénéfices étant empoché par Apple !
Distribution des coûts et profits pour l'Iphone
Elle illustre surtout le processus de mondialisation aujourd'hui à l’œuvre dans la mesure où elle amène à la mise en relation (et en interdépendance) généralisée et hiérarchisée des différentes régions de la planète par la multiplications des flux.
II – L'IPHONE, REFLET D'UNE CULTURE MONDIALE ET DES INÉGALITÉS DE DÉVELOPPEMENT
1. Une diffusion mondiale mais encore polarisée.
Si la production d' l'Iphone témoigne du processus de dispersion des activités de production à la surface du globe, sa commercialisation illustre également la mondialisation et ses limites.
Tout d'abord, si l'on étudie la répartition des Apple Store (il en existe plus de 400), leur localisation correspond à la Triade (Amérique du Nord, Europe de l'ouest, Japon et NPIA), c'est à dire aux foyers de richesse et aux marchés de consommation principaux de la planète. D'une manière schématique, les Iphones sont donc conçus au nord, fabriqués/assemblés au sud et consommés au nord. Cette géographie est ainsi celle de la Nouvel Division Internationale du Travail mis en place par les FTN/FMN comme Apple.
Localisation des Apple Store ouverts 2001 et 2013
Toutefois, de nouveau magasins Apple s'ouvrent aujourd'hui dans les régions émergentes où une classe moyenne consommatrice se constitue à mesure que le niveau de vie progresse : Asie du sud-est, Émirats arabes, Chine littoral, Afrique du Sud, Brésil... D'ailleurs, Foxconn a décidé en 2012 d'ouvrir une usine Ipad et Iphone au Brésil, tant pour bénéficier d'une main d’œuvre bon marché que pour se rapprocher de clients potentiels.
Évolution vente de smartphone en Chine (2013)
Enfin, la dimension mondiale de l'Iphone prend toute sa mesure si l'on observe la distribution du produit hors Apple Store, dans la mesure où tous les continents sont en effet concernés mais à des degrés différents. Plusieurs raison peuvent expliquer la faible distribution de l'Iphone (ou même son absence) : la pauvreté évidemment (comme en Afrique subsaharienne ou à Haïti), la petitesse du marché (Groenland) ou encore l'opposition politique (Cuba et la Corée du nord).
Disponibilité de l'Iphone 3 (EDGE, 3G, 3GS)
En 2012, Apple a ainsi vendu plus de 130 millions d'Iphones dans le monde même si ce smartphone demeure tout de même un produit de luxe (rappelons qu'il faut environ 1000 heures de travail à un ouvrier chinois pour se payer un IPhone contre seulement 20 pour un français...).
2. Apple et l'Iphone, un agent d’uniformisation culturelle.
La production et la distribution de l'Iphone en font un produit mondialisé par excellence. En outre, la stratégie marketing de la marque participe d'une forme de mondialisation culturelle et même d'une certaine façon d'une forme d'uniformisation des modes de consommation.
Publicité Iphone 5
Apple vise ainsi une clientèle très large, sans véritable segmentation géographique ou sociale (à la différence d'autres FMN/FTN qui adaptent leurs campagnes promotionnelles aux caractéristiques culturelles des populations ciblées). Par ce marketing indifférencié (jeux de couleurs et de transparence, personnages stylisés, absence de référent géographique ou géo-culturel...) et cette image de marque affirmée, Apple cherche à donner aux possesseurs d'un Iphone le sentiment d'appartenir à une communauté et d'adhérer à un ensemble de valeurs spécifiques, sans lien avec un espace géographique précis (sauf peut-être la Californie). Sa diffusion et le marketing qui l'accompagne participe donc de la création d'une culture mondiale, presque universelle,
Publicité Iphone 5
Par ailleurs, à l'échelle locale, la multiplication des Apple Store dans les grandes métropoles de la planète, entraîne une uniformisation des paysages, la marque contrôlant les moindres détails de l'aspect de ses magasins (mobiliers, vitrines, habillement des vendeurs).
Apple Store Madrid
Apple Store Rio de Janeiro
3. Une produit et une stratégie économique critiqués
Dans son développement, Apple a choisi d'appliquer la Théorie du « branding » qui consiste à se débarrasser de toute responsabilité sociale et environnementale, forcément coûteuse et juridiquement risquée, pour mieux se concentrer sur la valorisation de sa marque. Plusieurs critiques récurrentes visent ainsi le géant informatique californien :
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Les conditions de travail des employés des sous-traitants d'Apple sont fréquemment dénoncées, Foxconn notamment, qui est réputé faire « travailler l'homme plus vite que la machine ».
Campagne contre Apple et Foxconn (2012)
http://www.youtube.com/watch?v=HoQtErxn6jo
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Le coût écologique de l'Iphone est aussi souvent mis en évidence. Malgré les efforts de la marque pour créer une image de smartphone « propre », l'Iphone n'est pas un produit durable : son empreinte écologique est forte (multiplication des transports lors de sa fabrication, forte consommation d'énergie, recyclage inexistant...) et son obsolescence programmée contraint les consommateurs à changer régulièrement de téléphone et à se débarrasser de l'ancien.
Bilan carbone de l'Iphone 4
CONCLUSION
De par sa conception, sa fabrication et sa diffusion, L'Iphone est donc bien un produit mondialisé. Il témoigne de l'intégration croissante des territoires et des stratégies des acteurs de l'économie mondiale. Objet culte, il est devenu un référent culturel planétaire et incarne le "rétrécissement du monde" que rendent possible les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC).
Toutefois, derrière ce smartphone se aussi cachent des pratiques critiquables, tant sur le plan social
et qu'environnemental, pratiques souvent caractéristiques du et du mondialisé contemporain.
Un exemple de schéma sur l'Iphone
DIPP et DIT selon Apple