Un mur entre les Etats-Unis et le Mexique, l’impossible promesse de Trump (Le Monde.fr)
Publié le 10 Décembre 2016
A quoi servent les frontières dans un espace mondialisé? Si les barrières douanières pour les biens et les capitaux ont tendance à s'effacer, se dressent par ailleurs un peu partout dans le monde des murs pour empêcher les hommes de circuler librement.
Retour sur le cas de la frontière Etats-Unis/Mexique et sur une des promesses du nouveau président américain Donald Trump à travers un article du journaliste Nicolas Bourcier (Le Monde) et une série de clichés réalisés par la photographe Kirsten Luce.
Pris en chasse par des gardes-frontières américains patrouillant le long du Rio Grande, à Roma (Texas), vingt-deux présumés clandestins se replient vers Ciudad Miguel Alemán, la ville mexicaine limitrophe
Sources :
Un mur entre les Etats-Unis et le Mexique, l’impossible promesse de Trump
Des migrants cernés par des gardes-frontières dans le comté de Kenedy (Texas) alors qu’ils tentent de contourner le checkpoint américain de Sarita, à une centaine de kilomètres de la frontière.
"Il y a eu le Mur d’Hadrien. La Grande Muraille de l’empereur Qin Shi Huang, qui n’a pas évité les invasions. Le mur de Berlin, édifié sur l’ordre de Walter Ulbricht. La ligne Maginot, que l’on disait infranchissable. La ligne Siegfried, le mur des Alpes, la ligne d’eau néerlandaise, le Réduit national suisse, les fortifications belges… L’histoire des murs érigés pour empêcher les gens d’entrer ou de sortir est longue. Autant que celle des individus qui ont voulu les contourner ou les franchir. Un jeu de chats et de souris où sont légion les exemples d’ingéniosité contrariée par les passe-murailles.
On sait depuis la nuit des temps que l’idée de résoudre les problèmes en construisant des barrières et des obstacles physiques est un rêve pieux de l’histoire humaine. Et pourtant. Le candidat élu Donald Trump n’a eu de cesse de promettre un mur entre les États-Unis et le Mexique. Il l’a dit et répété avant et après son élection. Un mur « impénétrable, costaud, grand, puissant et beau » de la Californie au Texas, payé par le gouvernement mexicain.
C’était le thème porteur de son discours. L’hubris de sa campagne. La réalité, on la connaît. Façon fiche technique, la frontière représente : un tracé long de 3 200 km, dont 1 900 km pour le seul Texas ; quelque 1 000 km de murs érigés ces dix dernières années (à peine 160 km du côté texan) ; un coût de construction de plus de 4 millions de dollars le mile (1 mile équivaut à 1,6 km), soit entre 10 et 20 milliards de dollars pour l’ensemble de la frontière, selon les estimations.
Une frontière poreuse
Chaque année, ils sont entre 200 000 et 500 000 à tenter le passage. De 2012 à 2014, une année marquée par une forte poussée migratoire, le nombre de femmes arrêtées a augmenté de 173 %. En 2014, 47 000 mineurs non accompagnés ont été appréhendés par les services de migration. De janvier à juin 2016, ils étaient 26 000, faisant craindre un nouveau pic migratoire, malgré la multiplication des arrestations effectuées du côté mexicain et les démentis répétés du président Barack Obama. Depuis 1998, plus de 6 000 migrants ont péri en essayant de passer.
L’impulsion de ce mur du sud des États-Unis remonte à 2002 lorsque le département de la sécurité intérieure (Homeland Security) décide de centraliser les différentes agences de police, douane et surveillance. Des centaines de nouveaux postes sont créés, les techniques de détection, modernisées. Les réseaux de passeurs, eux, se sont professionnalisés et criminalisés sous la pression des cartels. George W. Bush signe le Secure Fence Act en 2006 et promet la construction de 1 120 kilomètres de double clôture métallique, s’étirant par segments de Tecate, en Californie, à Brownsville, au Texas. Lorsqu’il quittera la Maison Blanche, seulement 57 kilomètres de son mur auront été achevés. Cinq ans plus tard, son successeur dira qu’il est « quasi terminé ».
Localement, l’opposition est forte
Sur le terrain, les ranchers du Texas s’opposent à la construction d’un mur. Ils invoquent l’accès aux eaux du fleuve Rio Grande et aussi que les terrains sont en très grande majorité privés. Les habitants des villes frontalières estiment qu’il est dérisoire et néfaste aux relations et commerces transfrontaliers. En Californie, les défenseurs des droits de l’homme insistent sur le fait que les hauts grillages et clôtures métalliques n’ont fait que repousser les migrants vers le désert de l’Arizona et ses contrées arides.
Les photographies furtives de l’Américaine Kirsten Luce, prises entre octobre 2014 et janvier 2015, renvoient l’image de cette fuite en avant. Ce passage inéluctable d’hommes et de femmes en quête d’un monde meilleur, loin, très loin de leurs régions en crise politique, économique et humanitaire. Un travail aussi fort que minutieux qui rend compte de l’impossibilité d’un mur."