Les espaces maritimes au coeur des enjeux géostratégiques. (2ème partie)
Publié le 7 Juin 2019
THEME 2 : LES DYNAMIQUES DE LA MONDIALISATION
Chap. 2 : Les territoires de la mondialisation
"Les espaces maritimes au coeur des enjeux géostratégiques" (suite et fin)
Navires de guerre japonais arrêtant un bateau de pêche chinois au large des îles Senkaku.
II - Des espaces maritimes sous tensions.
A/ La difficile délimitation des frontières maritimes
1. L'élaboration du droit de la mer.
Les espaces maritimes sont régis par la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) élaborée lors de la conférence de Montego Bay (Jamaïque) en 1982. Ratifiée par plus de 130 États, cette convention définit différentes zones de souveraineté concernant les mers et les océans dans le but d'éviter les conflits entre les Etats :
- Les eaux territoriales : il s'agit des eaux sur lesquelles les États côtiers exercent entièrement leurs droit souverain (ils contrôlent le passage et sont « propriétaires » des ressources). Elles s'étendent jusqu'à 12 milles marins.
- Les zones économiques exclusives (ZEE) : il s'agit de bande maritime s'étendant jusqu'à 200 milles marins (370km) dans laquelle l’État côtier bénéficie d'un droit exclusif d'exploration et d'usage des ressources mais ne peut pas empêcher la circulation ou le survol.
- La haute mer libre : au delà du plateau continental, la haute mer est considérée comme un bien commun de l'humanité et son exploitation est interdite. Elle représente 65% de la surface océanique/marine de la planète
- Les détroits internationaux : leur fonctionnement est le plus souvent réglé par des conventions spécifiques (comme celle de Montreux de 1936 concernant les détroits du Bosphore et des Dardanelles) mais la conférence de Montego Bay a réaffirmé un droit de passage en transit, sans entrave et pacifique, à tous les navires.
Le découpage des espaces maritimes selon la CNUDM.
Cette convention conduit donc à une territorialisation croissante des espaces maritimes (autrement dit à leur appropriation et à leur exploitation par les Etats bordiers). La puissance maritime des Etats peut dés lors être mesurée par l'étendue de leurs eaux territoriales et par l'importance de leurs zone économiques exclusives. Les Etats-Unis disposent du plus grand domaine maritime au monde (plus de 12 millions de km²), suivis par la France, la Russie et l'Australie. L'Union Européenne, forte de ses 27 membres, possède également un très vaste domaine maritime.
Cette territorialisation remet en cause le principe de liberté de circulation sur les mers (à l'exception de la haute mer) et entraine litiges et tensions à propos de la délimitation des aires de souveraineté maritime.
L'Union Européenne, une puissance maritime
2. Les litiges liés à la délimitations des Zones Economiques Exclusives.
La délimitation des ZEE est aujourd'hui la principale cause de tensions entre les Etats, en raison des ressources présentes dans ces zones (qui s'étendent sur le plateau continental facilement accessible) et à la volonté des Etats de les exploiter. Une centaine d'Etats ont ainsi demandé une extension de leur ZEE et certaines régions sont le théâtre d'une forte concurrence. C'est particulièrement le cas en mer de Chine, comme au sujet des îles Senkaku entre la Chine et le Japon. Ces îles, pourtant inhabités et ne disposant d'aucune richesse, sont revendiquées par les deux pays, leur appropriation permettant à la fois une extension de la ZEE (et donc l'exploitation des ressources en hydrocarbure situées dans le sous-sol marin) et une affirmation de leur puissance dans ce nouveau centre du monde qu'est l'Asie Pacifique. D'autres tensions existent par ailleurs, comme entre la Russie et la Norvège dans la mer de Barents, entre la Grèce et la Turquie en mer Égée ou dans l'Arctique.
Les îles Senkaku au coeur des tensions entre la Chine et le Japon.
B/ La militarisation des espaces maritimes.
1. Les multiples enjeux de la militarisation des mers.
La maîtrise des mers et des océans est un élément essentiel de la puissance des Etats qui cherchent de ce fait à y renforcer leur présence militaire. Cette militarisation des espaces maritimes témoigne d'enjeux multiples : sécuriser les routes maritimes (comme dans le cas de l'opération Atalante dans le golfe d'Aden), lutter contre les pollueurs ou les pêcheurs illégaux, assurer l'exploitation des ressources (sous-)marines, affirmer sa souveraineté territoriale (comme la Chine qui multiplie les opérations militaires au large des îles Senkaku) ou encore accroitre sa capacité de projection militaire. Dans les conflits contemporains en effet, l’arme aéronavale joue un rôle déterminant dans la mesure où les responsables politiques et militaires cherchent tant que possible à éviter les interventions terrestres. En 2011 par exemple, l’intervention de l’OTAN en Libye qui a permis le renversement du régime du colonel Kadhafi a été mené depuis la mer Méditerranée.
2. Les Etats-Unis et l'affirmation de nouvelles puissances maritimes.
Aujourd'hui, si 10 Etats détiennent plus de 80% des forces maritimes mondiales, les Etats-Unis font figure de véritable superpuissance dans ce domaine grâce à leur impressionnant arsenal (plus de 260 navires dont 10 porte-avions, 18 porte-hélicoptères, une cinquantaine de sous-marins...) et à leurs bases situées sur tous les océans du globe. Cette puissance maritime, largement héritée de la période de la Guerre Froide, leur permet d'intervenir rapidement partout dans le monde pour protéger leurs intérêts économiques et politiques. Malgré tout, la domination états-unienne s'atténue et la compétition entre les puissances de la mondialisation pour la domination des mers s'accentue.
Les Etats-Unis, super-puissance maritime.
La Russie, le Royaume-Uni, le Japon et la France disposent ainsi également de forces navales conséquentes. La France, qui compte un porte-avion et 10 sous-marins nucléaires, est particulièrement présente en Méditerranée, dans l’Océan indien et dans l’Atlantique (où son ancien empire colonial lui permet de posséder plusieurs bases). Mais, les "gendarme des mers" que sont les Etats-Unis et les puissances maritimes traditionnelles doivent de plus en plus affronter la concurrence des pays émergents, notamment dans le Pacifique et l'océan Indien.
Ainsi, la Chine, en pleine affirmation de sa puissance, s'est lancée dans un programme de développement de ses forces navales (elle s'est dotée de son 1er porte-avions en 2012) et dans la constitution d'un réseau de bases (le long du fameux « collier de perles » et en mer de Chine), ce qui la met en rivalité directe avec les Etats-Unis et le Japon. D'autres puissances émergentes comme l’Inde, le Brésil, la Turquie ou l’Iran renforcent également leur marine de guerre afin de défendre leurs intérêts stratégiques.
Chine - Etats-Unis, deux puissances maritimes concurrentes.
C/ Mers, océans et littoraux, des espaces à protéger
1. Une pression anthropique de plus en plus forte.
Avec l'explosion des échanges maritimes, l'exploitation croissante des ressources et la tendance à la concentration des hommes et des activités sur les littoraux, les atteintes environnementales liées à l'artificialisation des milieux, aux rejets et aux accidents se sont multipliées. Les marées noires en sont les exemples les plus spectaculaires : le naufrage de l'Erika en 1999 a ainsi souillé près de 400 kilomètres de côte de la Vendée à la Bretagne et tué plus de 200 000 oiseaux; l'explosion de la plateforme pétrolière "deepwater" en 2010, située à 70 kilomètres au large de la Louisiane, est quant à elle à l'origine d'une nappe de 9000 km²! Ces catastrophes entrainent parfois des conflits d'usages entre les compagnies pétrolières et les autres acteurs économiques que sont les pécheurs et les professionnels du tourisme, principales victimes de ces accidents.
Il faut aussi rappeler que la concentration des activités touristiques sur les littoraux met en péril des écosystèmes souvent rares et fragiles (on pense par exemple à la destruction des posidonies en Méditerranée). En Grèce, ce sont ainsi 90% des infrastructures touristiques qui sont situées en zone littorale...
Côte bretonne souillée par la marée noire provoquée par le naufrage de l'Erika
2. Des ressources épuisables
La pollution des espaces maritimes et la surpêche sont également responsables de la raréfaction ou même de la disparition de certaines espèces. Selon la FAO, plus de 75 % des pêcheries mondiales sont actuellement en état de surexploitation et 30% des espèces de poissons seraient menacées, comme c'est par exemple le cas pour le thon rouge en Méditerranée ou pour les requins. D’une manière générale, les ressources des océans sont en diminution, ce qui menace des millions d'individus pour qui la pêche représente une source d'alimentation et de revenu indispensable (en particulier dans les Pays du Sud). Le développement de la pêche industrielle est largement responsable de cette situation. Par la technique du "chalutage de fond" par exemple (qui consiste à utiliser d’énormes filets lestés de lourds poids qui raclent les fonds marins, ramassant et cassant tout sur leur passage), les grands navires de pêches prélèvent d'énormes quantités de poissons et ravagent les fonds marins et leurs écosystèmes.
Chalut et son filet.
3. Les mesures de protection de l'environnement dans les espaces maritimes.
La gestion commune des mers s'impose de plus en plus comme un impératif de développement durable mais s'avère très difficile à mettre en oeuvre. L’Organisation Maritime Internationale (OMI), une agence de l’ONU créée en 1948 et regroupant 170 États, a multiplié les conventions pour préserver les milieux marins et assurer la sécurité en mer. Toutefois, les aires marines protégées ne couvrent aujourd'hui que 3% de la surface des océans et les enjeux environnementaux pèsent peu face aux enjeux économiques. Des ONG telles que WWF ou Greenpeace multiplient par ailleurs les actions médiatiques pour dénoncer les atteintes aux milieux océaniques et pour sensibiliser l’opinion sur les dangers qui les menacent.
Navires de Greenpeace autour d'un bateau japonais chasseur de baleines

Les principales marées noires depuis 1967