L'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France - plan détaillé

Publié le 1 Mars 2024

Chap.1 : "l'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France"

Plan détaillé

 

La croix de Lorraine au Mémorial de la France Combattante

 

1. Accroche :

Discours de de Gaulle le 25 août 1945 : « Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec … le concours de la France toute entière, c'est à dire de la France qui se bat, c'est à dire de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle » (http://www.ina.fr/video/I00012416)

Un discours historique qui crée une mémoire mythique de la 2nde Guerre mondiale et montre la différence entre…

 

2. Cadre lexical :

- la mémoire* : un souvenir subjectif du passé => une approche partielle et partiale ; qui peut être individuelle ou collective

- l'histoire* : une étude objective du passé > une approche scientifique et critique ; à vocation universelle

- La Seconde Guerre mondiale en France : un conflit qui a profondément divisé la nation* (la population d’un pays en tant qu’elle est unifiée par une culture et un projet politique communs) autour du régime de Vichy et de la collaboration (cf Henri Rousso, « Vichy, un passé qui ne passe pas », 1994)

 

3. Cadre spatio-temporel :

Attention, non pas 1939-45 mais de 1945 à nos jours :

- 1945 : la France sort traumatisée de la Seconde Guerre mondiale

- Aujourd'hui : Seconde guerre mondiale est devenue un objet « froid »

 

4. Problématique et Plan... chrono-thématique

=> Comment est-on passé d’une mémoire troublée de la Seconde Guerre mondiale à  un "objet froid" d’étude historique ?

Deux étapes, liées à des changements de générations

- la marque de de Gaulle, jusqu’en 1969

- la marque d’une génération témoin, jusqu’en 1995 (fin du mandat de Mitterrand)

 

I - 1945 – 1970 : LE MYTHE RÉSISTANCIALISTE OU L'HISTOIRE REFOULÉE

 

A. Qu’est-ce que lme mythe résistancialiste ?

 

1. Définition :

 

Idée selon laquelle les Français auraient unanimement résisté pendant la Seconde Guerre mondiale (cf discours « Paris libéré »).  L'expression de « mythe » est due à l’historien Henri Rousso, qui souligne que cette mémoire sélective répond à un besoin de l’époque.

 

2. Fonctions du mythe :

 

- En externe, faire figurer la France parmi les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (avec Churchill et Roosevelt)

- En interne, recréer une unité et une fierté nationale alors que la France est au bord de la guerre  civile.

=> L'épuration sauvage à l’été 1944 est sanglante : répression spontanée des collaborateurs qui conduit à l’exécution de  9 000 « collabos », au saccage des boutiques des « BOF » (épiciers en Beurre, Œufs et Fromages) et à la tonte de milliers de femmes. Il s'agit donc de fédérer les Français autour d’un souvenir valorisant de la Seconde Guerre mondiale

 

B. Qui le développe?

 

 1. L’État

 

- Charles de Gaulle, au pouvoir

=> en 1944-46 : le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF)  se donne une légitimité en décrédibilisant Pétain : la France de Vichy n’était pas la vraie France, elle n’est qu’une parenthèse, un accident de l’histoire

=> en  1958-69, dans une France divisée par la guerre d’Algérie

- La IVe République (1946-58) a besoin des cadres qui ont servi sous la France de Vichy.  (Exemple de François Mitterrand :  Prisonnier en Allemagne en 40, évadé en 41 ; Membre du Gouvernement Pétain en 1942-43 (Commissaire au reclassement des prisonniers de guerre), puis résistant  ; 11 fois ministre sous la IVe République )

 

2. Les Communistes

 

- 1er ou 2ème parti de France de 1944 à 1958, (1/3 des voix sous la IVe République). Il se présente comme le « parti des 75 000 fusillés »  (alors qu’il n’en a eu que 30 000)

=> soucieux de faire oublier le pacte germano-soviétique ;

=> veut se donner une légitimité politique comme le parti de ceux qui ont sauvé la France

 

3. Les rescapés de retour des camps, qui souhaitent oublier

 

- Sur les 166 000 déportés, environ 50 000 reviennent ; transitent à l’Hôtel Lutetia à Paris. Ont l’impression que l’on ne peut pas croire l’horreur qu’ils ont vécue.

- Les contemporains ne font pas de distinction entre les déportés juifs, politiques, résistants : Ils laissent faire

=> Exemple : en 1947, le livre "Si c'est un homme" de Primo Levi n’a aucun succès : le génocide est oublié

 

C. Le volet positif du mythe : l’exaltation, le culte de la résistance

 

1. Par des films

 

- exemple de "La bataille du rail" (René Clément, 1946) = héroïsation de la résistance de la SNCF… gommant les convois français vers Auschwitz

 

2. Par des commémorations officielles

 

- Exemple au Mont Valérien (à l’Ouest de Paris, où ont été exécutés des milliers de résistants)

=> est érigé en mémorial de la Résistance comme la Tombe du soldat inconnu sous l’Arc de triomphe pour la Première Guerre mondiale.

=> cérémonie chaque 18 juin, en souvenir de l’appel : « la flamme de la résistance ne s’éteindra pas »

=> en 1946, ensevelissement de 15 corps (2 femmes, des membres des Forces Françaises Intérieurs et des Forces Françaises Libres, des « indigènes »…)

=> en 1958, construction d’un monument autour de 17 caveaux autour d’une immense croix de lorraine et et de bas-reliefs évoquant 16 façons de combattre pour la France

- Nombreuses autres commémorations, avec discours, monuments etc. = célébrer publiquement un souvenir => faire entrer dans la mémoire collective

=> le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon an 1964

 

D. Le volet négatif : la Collaboration refoulée

 

1. On veut crée des angles morts de la mémoire, gommant :

 

- la défaite (débâcle de mai-juin et l’armistice du 22 juin 1940, “victoire” de 1944-45 obtenue seulement grâce aux Alliés)

-  le sabordage du 10 juillet 40 : La France a choisi le régime  autoritaire de Vichy (c’est le Parlement de la IIIe République qui vote les Pleins Pouvoirs à Pétain créant l’État français : un régime autoritaire autour de la devise "Travail Famille Patrie" remplace la démocratie et sa devise "Liberté Égalité Fraternité".

- La collaboration au nazisme, et notamment au génocide et à l'arrestation de résistants.

=> par exemple, lors de la rafle du Vel d’Hiv*, 16 juillet 1942, 12000 juifs sont arrêtes par la police parisienne dont les femmes et les enfants que ne demandaient pas les Allemands.

=> Au total ce sont 76 000 Juifs français qui sont déportés (25% des Juifs français), arrêtés notamment par la police et la Milice françaises.

 

2. Par la voie juridique

 

- Annulation des lois et règles de Vichy (une des 1ères mesures du GPRF, dès l’automne 44) : "nul et non avenu"

- Épuration légale

=> 130 000 procès officiels, 1500 exécutions , 40 000 emprisonnements (dont celui de Pétain dont la peine d’exécution est commuée par grâce en prison à vie)

Mais

- Pas du tout un renouvellement de l’administration : seuls les plus hauts cadres sont arrêtés et jugés (dans la police, quelques chefs seulement, comme Bousquet responsable de la rafle du Vel d’Hiv)

- Trois lois (1947, 1951 et 54) d'Amnistie des faits de collaboration : acte juridique qui exige d'oublier, donc interdit d'évoquer ou de sanctionner des fautes passées. Les prisonniers sont libérés : en 1954, il en  reste moins de 100

 

3. Par la censure et la réécriture de l’histoire : 2 exemples

 

- (1954) "Histoire de Vichy" de Robert Aron : idée que De Gaulle et Pétain ont joué un rôle complémentaire pour la défense de la France, comme « le glaive » (de Gaulle) et le « bouclier » (Pétain), en minorant la collaboration

- (1955) "Nuit et Brouillard" (film documentaire, Alain Resnais) : montre une déportation qui a touché essentiellement les résistants (amalgamés aux Juifs). Les détails montrant la collaboration française sont censurés par le gouvernement et seule une version épurée est diffusée.  

 

 

II - 1970-1995 : LA MÉMOIRE RETROUVÉE GRÂCE À LA CRITIQUE HISTORIQUE = le réveil d’autres mémoires, la fin du mythe résistancialiste.

 

​​​​​​​A. Le « retournement » : la fin des blocages :

 

1. Sur le génocide

 

- Le tournant : 1961 Procès Eichmann : en Israël, contre un haut responsable nazi, rédacteur de la conférence de Wansee sur la Solution Finale ; organisateur des convois de toute l’Europe vers Auschwitz ; retrouvé en Argentine, … exécuté en 1962 = réveil général de la mémoire du génocide juif, idée qu'on peut et doit en parler ; d’autant que les victimes sont en fin de vie : après la priorité à l’oubli, le souci de transmettre

- En France : 1975-1985 Shoah (réalisation du film documentaire de Claude Lanzmann) = mémoire des persécutions juives (fondée sur des témoignages contemporains ; mais sans aucun film d'archives :  plus de 10h de documentaire, plus de 10 ans de production)

 

2. Sur la collaboration

 

- le tournant, symbolique, 1970, la mort de de Gaulle

=> (1971) "le Chagrin et la Pitié" (film de Marcel Olphus) = Documentaire simple sur la France occupée, qui a collaboré au quotidien = brise l'image d'une France unanimement résistante et héroïque. Film refusé à la TV. Grand succès en salle.

=> (1973) "La France de Vichy" (livre de l'historien américain Robert Paxton) = l'historien montre le rôle actif de la France ds la déportation et les répressions <=> 16 juil 42, rafle du Vel d'Hiv : non seulement arrestations par la police parisienne, mais la décision de déporter les femmes et enfants a été prise sur la proposition du Français  Bousquet

 

3. Sur la résistance : la dérision devient possible...

 

- Fin de la glorification/héroïsation systématique de la résistance :

=> 1982 "Papy fait de la résistance" (film, Jean-Marie Poiré)

 

B. Les polémiques

 

1. Essor du négationnisme*

 

= négation de l'existence des chambres à gaz, du génocide, du crime commis contre l'humanité. Appelé aussi « révisionnisme ». Dans les années 1980, notamment à l’Université de Lyon

=> 1978 Louis Darquier de Pellepoix : « A Auschwitz, on n’a gazé que des poux »

=> … 1987 Jean-Marie Le Pen : « les chambres à gaz ne sont qu’un détail de l’histoire »

 

2. Une réponse mémorielle critiquée sous la présidence de Mitterrand

 

- 16 juillet 1990 Loi Gayssot contre le négationnisme, révisée en 2011 pour tous les génocides. Toute contestation de crime contre l’humanité est un « délit », puni par la loi ​​​​​​​= approche politique de l'histoire, assez critiquée.

- Première commémoration du Vel d’Hiv, puis des victimes des déportations, en 1992 puis 1993 : les faits sont reconnus, mais sans culpabilité : Cf Mitterrand, Président de la république, pour les 50 ans de la rafle du Vel d’Hiv : « la République n’est pas comptable des actes de Vichy ».

- Polémique vive autour de la participation de Mitterrand au Régime de Vichy

 

3. Les procès de Lyon : deux chefs nazis sont jugés pour « crime contre l’humanité »,

 

= des crime imprescriptibles, prouvés par Serge Klarsfeld, et condamnés à la prison à perpétuité (peine capitale supprimée en France depuis 1981). Défense assurée par Maître Vergès notamment.  =  des procès très médiatisés : filmés et diffusés à la TV : seuls cas judiciaires en France)

=> En 1987, Klaus Barbie, chef allemand de la Gestapo à Lyon (Déportation de centaines de Juifs, notamment en 44, les 44 enfants d’Izieu vers Auschwitz ; extradé de Bolivie en 1983 ; au 3e jour, refuse de comparaître)

=> En 1994, Paul Touvier, chef français de la Milice lyonnaise. Condamné à mort en 1946, « par contumace », mais plusieurs fois gracié ou protégé jusque dans les années 1970 (notamment par Pompidou en 1972). Arrêté en 1989 et condamné, en particulier pour l’exécution de 7 otages juifs

 

III - DEPUIS 1995 : DES MÉMOIRES PACIFIÉES PAR L'HISTOIRE

 

A. La repentance = reconnaissance de ses fautes (terme religieux ici employé sans cette connotation spirituelle)

 

1. Le discours du Vel d’Hiv en 1995, par Jacques Chirac, Président de la République.

 

"Il est dans la vie d'une nation des moments qui blessent la mémoire...Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français par l'Etat français" = reconnaissance officielle de « la responsabilité de la France dans le génocide » et excuses.

 

2. Le devoir de mémoire

 

- idée qu'un État doit entretenir le souvenir de certaines souffrances passées pour ne pas les refaire.

- Multiplication des expositions, des témoignages et des lieux de mémoires

=> Notamment construction du Mémorial de la Shoah, avec le nom des 76 000 juifs français morts dans la Seconde Guerre mondiale (2005)

 

3. Des excès mémoriels ?  

 

=> 2001-2005, 3 lois mémorielles dans la ligne de la Loi Gayssot, imposant de considérer le massacre arménien et la traite des Noirs (loi Taubira) comme des crimes contre l’humanité, et de reconnaître comme victimes les rapatriés d’Afrique du Nord

=> 2007, polémique autour de l’ordre de N. Sarkozy d’imposer la lecture de la lettre de Guy Moquet dans les lycées (alors que ce jeune fut arrêté pour distribution de tracts communistes… non résistants)

 

B. Une vision plus nuancée, qui montre la complexité des parcours et de la société française

 

1. 1998, procès Maurice Papon

 

(Secrétaire Général de la Préfecture de Bordeaux dans la Seconde Guerre mondiale) 10 ans de réclusion pour “complicité” de crime contre l'humanité pour avoir exécuté des juifs en obéissance aux ordres.

 

2. Typologie des Français sous l'Occupation :

 

 - Les “collaborationnistes” = une minorité

- une majorité d'”attentistes

- plusieurs “vichyssois résistants

- de  nombreux "résistants ponctuels"...

 

3. Une approche pacifiée :

 

=> Commémoration des 70 ans du débarquement, le 6 juin 2014, « la commémoration de la paix » : plus 20 chefs d'Etat et de gouvernement, dont l'Américain Barack Obama, le Russe Vladimir Poutine, la reine d'Angleterre et l'Allemande Angela Merkel, en hommage à "toutes les victimes du nazisme"

 

 CONCLUSION :

 

- Il y a plusieurs mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France, parce qu’il y a plusieurs acteurs : résistants, juifs, collabos, majorité attentiste....

- Parmi ces mémoires,  la mémoire d’État, la mémoire officielle, est particulière, parce qu’elle est  responsable de l'unité de la nation : elle est passée du mythe résistancialiste au devoir de mémoire puis à la commémoration pacifiée

- L'histoire a besoin de ces mémoires, mais prend du recul => L'histoire est un remède contre les abus de mémoire... Si l'histoire a pacifié les mémoires de la Seconde Guerre mondiale, elle doit encore le faire pour la Guerre d'Algérie.

 

 

 

Rédigé par Team Histoire-Géo

Publié dans #Term HGGSP

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