Sur la route avec Caro - épisode 5
Publié le 30 Octobre 2017
Sur la route avec Caro
Épisode 5 : le grand nord américain

Comme nous l'évoquions dans l'épisode précédent, Caroline a quitté la région des grands lacs et s'est lancée à la conquête des vastes espaces du nord du pays. Seule au volant de sa voiture de location, elle a parcouru plus de 3000 kilomètres à travers 7 États : Minnesota, Iowa, Dakota du Sud, Wyoming, Montana, Idaho et Washington. Cap vers l'ouest donc.
Loin des grandes aires urbaines de la Mégalopolis et de la Manufacturing Belt (loin également de la douceur de l'été indien!), Caroline part se confronter à l'immensité des plaines inhabitées, à l'éloignement, à la pluie, à la neige et au vent glacial, à la nature encore préservée et foisonnante, à l'expérience de la route et du "wilderness"... Un road trip en solitaire pour découvrir une autre Amérique, à laquelle notre envoyée spéciale semble avoir rapidement succombé...

On the road again...
Dans son périple, Caroline a traversé quelques-uns des parcs naturels les plus célèbres et les plus impressionnants du pays : les paysages déprimés des Badlands, vaste région subdésertique aux reliefs fortement érodés (les pluies rares et violentes entrainant un intense ravinement) en partie étendue sur la réserve indienne de Pine Ridge ; les prairies et les forêts verdoyantes du parc de Bighorn (créée en 1897) ; Yellowstone, ses quelques 300 geysers et 10 000 sources chaudes ainsi que sa faune exceptionnelle (ours, bisons, loups, cerfs, coyotes, daims...), classé patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO depuis 1978 ; la majesté des sommets enneigés des Rocheuses, principale chaine de haute-montagne du pays qui s'étire sur plus de 4800 kilomètres du Canada jusqu'au Nouveau-Mexique...
Un voyage visiblement éprouvant mais aussi et surtout éblouissant, véritable plongée au cœur de la splendeur des grands espaces américains et des mythes qui ont forgés l'identité du pays, des premiers explorateurs jusqu'à l'achèvement de la conquête de l'ouest, de Buffalo Bill à Little Big Man...

Paysage des Badlands

Nuit au bord d'un lac à proximité de Bighorn Forest

Yellowstone et son intense activité géologique.
Ce "monde sauvage" évoqué par Caroline est un élément central de la culture américaine. La fascination pour la "nature" et l'attachement au "wilderness" découlent largement de la mémoire de la construction du territoire ainsi que des valeurs morales du pays. Perçue comme un espace de pureté, d'authenticité, d'harmonie et de bonheur, la "nature" renvoie aussi bien à l'imaginaire des pionniers protestants venus chercher "la terre promise" sur le nouveau continent qu'à l'idéal promu par Thomas Jefferson d'une société de petits paysans propriétaires ou au mythe du cowboy solitaire affrontant la rigueur et la rudesse de l'environnement. Opposée à la ville, considérée comme le lieu du vice, du péché et de la corruption des hommes (on pense par exemple au surnom de Las Vegas - Sin City - ou au Gotham City dans Batman), la "nature" est ainsi bien souvent idéalisée, comme en témoigne de nombreuses œuvres littéraires ou cinématographiques, de "Walden ou la Vie dans les bois" de Henry David Thoreau (1854) à "Into the Wild" de Sean Penn (2007). C'est aussi dans cette optique qu'il faut comprendre l'apparition aux États-Unis des premiers "parcs nationaux" (portion de territoire dans laquelle la faune, la flore et le milieu naturel en général sont protégés des activités humaines), dont l'idée a été formulée dés le milieu du XIXème siècle par le peintre George Catlin de retour d'un voyage dans le grand ouest...

Bisons sur le bord de la route
Caroline nous rappelle malgré tout le comportement parfois paradoxal des américains dans leur rapport à la nature. S'ils semblent globalement soucieux de la préservation de l'environnement, ils considèrent encore bien souvent ses ressources comme "inépuisables" et sont loin d'avoir adoptés des "gestes" écologistes aujourd'hui courants en France. Elle remarque ainsi que le recyclage et le tri sélectif ne sont pas en vigueur dans tous les États de la fédération, que la voiture (notamment les énormes 4X4 et autres pickup gloutons en carburant) est indispensable à la vie quotidienne et que le gaspillage est une pratique courante dans une société fondée sur la consommation. L'histoire du bison est exemplaire de cette attitude contradictoire, elle aussi ancrée profondément dans la culture yankee. Avant l'arrivée des européens, on comptait entre 50 et 70 millions de bisons en Amérique du nord. Essentiel à la survie des amérindiens, ces animaux furent exterminés en quelques décennies pour leur viande et leur laine (et aussi pour affamer les peuples autochtones) au moment de la conquête de l'ouest. Buffalo Bill, chasseur mythique de cette période, est aujourd'hui un héros national bien qu'il ait participé au massacre d'une espèce entière. L'animal est aujourd'hui protégé mais a presque disparu à l'état sauvage...

Sur la route de l'ouest : Saloon et DeLorean

Portrait de Buffalo Bill, mythique chasseur de bisons
Au cours de son voyage, Caroline découvre aussi une autre Amérique, plus rurale, plus traditionnelle, plus "profonde" : celle des grands ranchs devant lesquels il n'est pas rare de voir des panneaux "Trump", celle des trappeurs et des magasins d'armes, celle des Santiags et des Stetsons, celle qui se rêve encore au temps des pionniers et des cowboys... Quelques jours après la tuerie de Las Vegas (59 morts et plusieurs centaines de blessés), Caroline se désole d'ailleurs de constater que le deuxième amendement de la constitution (qui garantit pour tout citoyen le droit de porter des armes) ne semble pas prêt d'être supprimé. L'attachement aux armes à feu est un autre aspect majeur de la culture et de l'identité américaine. Il rappelle la révolte contre l'oppresseur britannique (qui mena à l'indépendance du pays) et témoigne plus largement de la défiance des américains vis à vis du pouvoir central (surtout dans les États du sud). La carabine Winchester est, à l'instar de la Harley Davidson, considérée un symbole et plus encore comme un garant de la liberté et de la sécurité des citoyens états-uniens, bien plus que ne peut l'être l’État fédéral! Caroline en profite pour nous rappeler l'influence de la National Rifle Association (qui compte plus de 4 millions de membres) dans l'impossible réforme de la législation (100 lois sur le port d'armes ont été proposées au Congrès entre 2011 et 1016 et aucune n'a été votées!).

Magasin de chapeau, accessoire indispensable de l'homme de l'ouest!
Caroline évoque aussi son passage au Mont Rushmore, mémorial national situé près de la ville de Rapid City dans le Dakota du Sud. Pour attirer les touristes dans la région, le gouvernement confia à Gutzon Borglum (aidé de 400 ouvriers) le soin de sculpter à même le granite les visages de quatre illustres présidents des États-Unis : G. Washington, T. Jefferson, T. Roosevelt et A. Lincoln (les travaux durèrent de 1927 à 1941!). Le site accueille aujourd'hui environ 3 millions de visiteurs par an. Caroline assiste à la cérémonie nocturne, spectaculaire célébration à la gloire des États-Unis qui se clôture par le traditionnel hommage aux soldats, l'hymne national repris par l'ensemble de l'assistance et l'illumination du Mont! Un grand moment de patriotisme qui n'est pas sans soulevé certaines controverses. En effet, pour les descendants des indiens Lakotas, le mémorial du Mont Rushmore (qu'ils considèrent comme sacré) est le symbole du racisme, de la domination blanche et de l'extermination de leurs ancêtres. D'une manière plus générale, les territoires traversés par Caroline pendant son périple vers l'ouest ont été le théâtre des principaux affrontements entre les troupes fédérales et les tribus amérindiennes entre 1860 et 1890. Ces "guerres indiennes", émaillées de nombreux massacres (comme celui de Wounded Knee en 1890 où périrent plus de 200 Sioux), ont permis l'achèvement de la conquête du territoire des États-Unis par les colons européens (la plupart des traités signés entre les différents gouvernements et les tribus autochtones ne furent pas respectés, comme ce fut le cas pour celui de Fort Laramie de 1868 qui prévoyait de laisser la région du Mont Rushmore aux Lakotas) et ont surtout entrainé la quasi disparition des "natives americans" (les indiens ne sont plus que 250 000 en 1890)... Un passé moins glorieux aujourd'hui encore facteur de revendications identitaires et mémorielles.

Cérémonie nocturne au Mont Rushmore
Une autre Amérique donc, peut-être quelque peu nostalgique mais surtout fière de ces racines et de ses richesses, une Amérique ancrée dans ses traditions et dans un patriotisme assumé et ostentatoire, mais une Amérique toujours aussi mythique et hospitalière, pour Caroline tout du moins!
C'est à présent la côte pacifique et la Californie qui attendent envoyée spéciale. On the road again....

Born to be Wild!
PS#1 : visite à Paisley Park
En quittant le nord-est, Caroline s'est rapidement arrêtée dans les "twin cities" de Minneapolis-Saint Paul, principalement pour se rendre Paisley Park, vaste complexe de studios d'enregistrement et de salles de répétition où résidait Prince Rogers Nelson dit Prince. Disparu en 2016, ce multi-instrumentiste de génie et showman incomparable s'est imposé comme la figure emblématique de la scène musicale de Minneapolis. Son goût pour l'expérimentation, son sens du groove et ses mélodie pop en font même un des plus grands artistes contemporains, comme en témoignent ses tubes planétaires, "Kiss", "Purple Rain" ou "Boys & Grils". Paisley Park est aujourd'hui transformé en musée à la gloire du "Kid de Minneapolis" ; séquence émotion devant la maquette miniature du site qui contient les cendres du génie pourpre...

Le complexe de Paisley Park, aujourd'hui transformé en musée.
"Paisley park", Prince (1985)