La Chinafrique, mythe ou réalité ? (géoconfluences.fr)
Publié le 14 Mars 2019
Nous vous proposons aujourd'hui la synthèse de deux articles du site géoconfluences consacrés à la « Chinafrique ».
Bonne lecture !

"Entre 2000 et 2015, les échanges chinois avec le continent ont été multipliés par 30, pour atteindre la barre des 300 milliards de dollars. Depuis 2011, la Chine est le premier partenaire commercial de l'Afrique sud-saharienne prise comme un ensemble. Elle a consolidé ses positions dans les secteurs des industries extractives et des infrastructures. Elle a aussi commencé à investir dans l’industrie manufacturière, mais les flux restent encore assez modestes (officiellement 22 milliards de dollars en 2012 mais probablement beaucoup plus).
Les grands sommets entre les représentants de la Chine et les gouvernements africains se multiplient, ce qui traduit l'intérêt réciproque pour ces relations. Avec la création du Forum sur la coopération sino-africaine (Focac), l’an 2000 constitue un tournant à partir duquel les relations sino-africaines connaissent un essor particulièrement rapide. La Chine multiplie les gestes de séduction, en annulant la dette de plusieurs pays africains par exemple. Lors du sommet du Focac de Johannesburg en décembre 2015, le président chinois Xi Jiping a annoncé une enveloppe de 60 milliards d'aide financière pour l'Afrique incluant 5 milliards de prêts à taux zéro et 35 milliards de prêts à taux préférentiels.
Les Chinois sont aussi présents dans les opérations de maintien de la paix en Afrique et la Chine use de son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations Unies pour entraver les possibles ingérences internationales dans les affaires africaines, ce qui lui sert de monnaie d'échange diplomatique et économique. Inversement, Pékin convoite les voix des États africains pour défendre ses propres intérêts dans les instances internationales (dans ses relations avec Taïwan par exemple) et le temps où les ex-colonies votaient comme un seul homme à l'ONU derrière l'ancienne puissance tutélaire est fini.
Contrairement aux Occidentaux, la Chine n'impose pas de conditions politiques en échange de ses investissements et ne pose pas de questions sur les Droits de l’Homme. Les Chinois s'efforcent d'emporter l'adhésion des gouvernants africains et, autant que possible, des populations en se centrant sur un échange largement fondé sur les extractions de matières premières contre des infrastructures : construction de ports, de routes, de barrages (par exemple, sur l'Omo en Ethiopie, barrage de Merowe au Soudan), de stades et d'hôpitaux, de zones industrielles (parc industriel sino-éthiopien de Dukem). Ils prennent souvent en charge une large partie, voire la totalité des travaux et s'installent alors parfois durablement créant de véritables villages ou quartiers chinois, multipliant les installations d'entreprises ou de commerces. On compte plus de 2 500 entreprises chinoises installées sur le continent en 2015. En Algérie, la Chine a détrôné la France depuis 2012 comme premier partenaire du pays en remportant quasiment tous les grands appels d’offres dans le BTP, comme la construction de la grande mosquée d’Alger, la troisième plus grande au monde, ou encore l’agrandissement de l’aéroport de la capitale. Partout sur le continent, les produits chinois bon marché remplacent peu à peu ceux importés d'Occident mais aussi les productions locales et africaines.

La présence chinoise en Afrique (diploweb.com)
Toutefois, pour Thierry Pairault, l'expression de Chinafrique est à abolir. En effet, selon ce spécialiste de la Chine l'expression est trop englobante et donne une vision trop uniforme des 54 pays africains, qui permet mal de saisir des situations économiques pourtant très variées à l'intérieur du continent. De plus, l'origine de l'expression, basée sur celle de la Françafrique (attitude néo-coloniale de la France cherchant à maintenir une influence dans son ancien pré-carré après la décolonisation), rend mal compte de l'attitude de la Chine qui n'a pas d'héritage colonial et cherche à conserver une image de partenaire économique fiable.
Par ailleurs, si les IDE chinois en Afrique sont très médiatisés, leur réalité est souvent moins tangible que ne l'annoncent les médias. En tout la Chine n'a investi « que » 2,4 milliards de dollars en Afrique en 2016, ce qui ne représente qu'une part faible des IDE chinois (1,2 %) et mondiaux (0,2 %). Les chiffres des investissements chinois en Afrique sont en outre selon le chercheur à l'EHESS souvent gonflés, ou portent sur des annonces de projets plutôt que sur des réalisations concrètes. De plus, dans de nombreux cas, les transferts de capitaux correspondent plutôt à des commandes africaines qu'à des investissements chinois, et l'implication locale de la Chine ne dure que le temps du chantier. Pour finir de relativiser l'expression, T. Pairault cite par exemple « la Grande mosquée d’Alger, construite par des travailleurs chinois, soit 2 000 personnes évidemment très repérables, mais les plans étaient allemands et des cabinets de conseil algérien, allemand, canadien et français y ont participé sous contrôle algérien. ». Enfin, l'Afrique ne représente qu'une petite part des ambitions extérieures chinoises dans les domaines commercial, financier, militaire, politique, etc. Les nouvelles routes de la soie contournent en partie l'Afrique (seule l'Égypte est concernée par les IDE chinois, et elle arrive après 22 autres pays, tous asiatiques).
La Chine ne serait donc rien de plus qu'un partenaire important pour les États d'Afrique, aux côtés de leurs autres partenaires comme l'Inde ou les États de l'Union Européenne. Dans ce contexte, parler de « Chinafrique » ne serait qu'un moyen de souligner le rôle de la Chine dans l'insertion plus générale des pays africains au système économique mondial multipolaire.

Les partenaires commerciaux des Etats d'Afrique subsaharienne (géoconfluences.fr)
Il n'en demeure pas moins que la Chine est le premier partenaire commercial de l'Afrique sud-saharienne, prise comme un ensemble, et celui de nombreux pays du continent, y compris en Afrique du Nord. Dans le cadre de la compétition mondiale entre la Chine et l'Occident, les Africains ont compris qu'ils seront de plus en plus courtisés et ils sont bien décidés à faire monter les enchères. La Chine contribue certainement à la « désoccidentalisation » de l'Afrique. Elle contribue aussi largement à l'actuel décollage économique de certains pays africains comme l'Éthiopie et à au transfert de nouvelles technologies adaptées au continent. Plusieurs pays africains sont considérés, de plus en plus souvent, comme des émergents. C'est un retournement de perspective susceptible de s'accélérer avec la montée en puissance des échanges Sud-Sud et avec le renforcement du rôle d'autres nouveaux intervenants que sont le Brésil et l'Inde. Dans ce contexte, parler de « Chinafrique » est un moyen de souligner le rôle de la Chine dans l'insertion plus générale des pays africains au système économique mondial multipolaire.
Source :
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/chinafrique
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/la-chinafrique-mythe-ou-realite