T1 - Chapitre 1 : l'impact de la crise de 1929 : déséquilibres économiques et sociaux. (1ère partie)
Publié le 6 Septembre 2024
THÈMES 1 : FRAGILITÉS DES DÉMOCRATIES, TOTALITARISMES, SECONDE GUERRE MONDIALE (1929 - 1945)
Chapitre 1 : l'impact de la crise de 1929 : déséquilibres économiques et sociaux. (1ère partie)
Problématique générale => En quoi la crise économique des années 1930 ébranle-t-elle le capitalisme libéral et les équilibres économiques, politiques et sociaux dans le monde ?
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I - LA CRISE DE 1929 : UNE CRISE DU CAPITALISME LIBÉRALE.
=> Quelles sont les causes de la crise de 1929 et comment celle‑ci se diffuse‑t‑elle dans le monde entier ?
A – Les causes de la crise : les années 1920, une décennie de prospérité factice.
1. Le poids de la guerre et l'affaiblissement des économies européennes.
Les puissances européennes, en particulier la France et l'Allemagne, sortent appauvries et affaiblies de la 1ère Guerre mondiale.
- La production industrielle et le PIB des puissances européennes chutent fortement, notamment en raison de la Première Guerre mondiale (destructions, passage à une économie de guerre, réquisition de la main d’œuvre sur le front...)
- Afin de financer leur déficit budgétaire, de nombreux États recourent à la création monétaire (la « planche à billets ») ce qui engendre une forte inflation. L'Allemagne est fortement touchée : le prix au détail y passe de l’indice 1 en 1913 à 750 000 000 000 en novembre 1923 (les prix des repas au restaurant varient par exemple selon l’heure de la commande et l’heure à laquelle l’addition est présentée!) ; on parle dés lors d'hyperinflation.
- Les dettes de guerre font des États-Unis les 1er créancier de la planète. Les américains investissent près de 5 millions de dollars en Europe, notamment en Allemagne qui est particulièrement dépendante de ces capitaux.


L'hyperinflation allemande en 1923.
2. Le dynamisme économique et les risques de crise de surproduction.
Dans les années 1920, les États-Unis sont la 1ère économie mondiale, grâce à une industrialisation rapide basée sur le taylorisme et le fordisme. Mais ce dynamisme provoque un déséquilibre entre l'offre et la demande.
- Pour répondre à l'augmentation de l'offre de biens de consommation (automobile, électroménager...), le crédit à la consommation (et donc l'endettement) se développe dangereusement. L'encours des crédits bancaires est ainsi multiplié par 12 entre 1924 et octobre 1929.
- Les superficies cultivées et la production agricole augmentent également considérablement, dépassant la demande réelle. Les prix baissent et de nombreux petits exploitants se retrouvent endettées. La mise en culture de terres moins fertile aggrave par ailleurs la sécheresse dans le centre du pays.
- Les prix des matières premières (agricoles et minérales) connaissent une baisse qui peut atteindre plus de 50 %. Cela pénalise notamment les économies latino-américaines déjà surendettées auprès des États-Unis.

La Ford Model T dans les usines Ford de Détroit.
3. Les effets dévastateurs de la spéculation financière.
Aux États-Unis, la spéculation financière explose ce qui entraîne la formation d'une bulle spéculative menaçant l'ensemble du système économique.
- La période de prospérité après la crise de 1921 se traduit par une hausse des profits des entreprises et donc des cours de la bourse de New York. La valeur des actions est multipliée par 4 entre 1921 et 1929 (300%) !
- Toutefois, la production industrielle n'augmente que d’environ 50% sur la même période : l'envol des cours résulte donc aussi largement de la spéculation. Les actions étaient souvent achetées à crédit (4/5e des actions en 1929) et les spéculateurs espéraient rembourser les prêts par les plus-values obtenues en vendant les titres, une fois que leur cours aurait augmenté.
- La situation économique commence à se dégrader aux États-Unis en 1929 (comme d'ailleurs dans le reste du monde et même dès 1928 en Allemagne) : la consommation des ménages et l’indice de la production industrielle diminuent, tout comme comme les bénéfices des entreprises dont la valeur en bourse continue de croître du fait de la spéculation! L'indice Dow Jones est progressivement déconnecté de l'économie réelle ; la prospérité sur laquelle se fondait l’envol boursier se révèle largement factice.
- Au printemps 1929, inquiète des risques de formation d'une bulle spéculative, la réserve fédérale américaine (FED) demande aux banques de Wall Street de réduire leurs prêts aux courtiers mais cette préconisation n'est pas suivie.

Évolution de l'indice du Dow Jones, de janvier 1921 à septembre 1929
=> La crise économique des années 1930 trouve ainsi ses origines dans les déséquilibres de l'économie mondiale et dans les logiques du capitalisme libéral et financier.
B - Les États‑Unis dans la crise : du krach boursier à la Grande Dépression
1. Du krach boursier à la crise bancaire et industrielle : l'effondrement d'un système économique.
La bulle spéculative explose en octobre 1929. Les cours des actions cotées à Wall Street s'effondrent et l'ensemble du système de crédit sur lequel se fonde l'économie américaine vole en éclat.
- Dés le début du mois d'octobre, un mouvement de vente fait baisser les cours de la bourse de 10%. Le jeudi 24 octobre 1929 (le « jeudi noir »), 13 millions d'actions sont mises en vente : la bourse s'effondre et, malgré l'intervention des banques pour enrayer la chute, la panique s'empare des marchés financiers. Le mardi 29 (« mardi noir »), ce sont 16 millions de titres qui sont échangés : c'est le krach.
- L'effondrement de la bourse entraîne une crise bancaire aux États-Unis : les spéculateurs et détenteurs de crédit sont incapables de rembourser leurs dettes ; les déposants veulent récupérer leur argent mais les banques ne disposent plus de liquidité... La moitié des banques du pays ferme leurs portes (environ 800)
- C'est ensuite le secteur productif qui est touché : les banques ne peuvent plus prêter aux entreprises alors que la consommation s'effondre : la crise devient économique. Le nombre d'automobiles produites entre aout 1929 et décembre 1929 diminue par exemple de moitié. De 1929 à 1932, le revenu national des États-Unis s'effondre de 87 à 39 milliards de dollars. Le marché immobilier, qui avait aussi connu un fort mouvement spéculatif, s'effondre à son tour.
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Évolution comparée de la production industrielle et des cours des valeurs boursières aux États-Unis entre 1925 et 1933

Évolution du Dow Jones, d'octobre à novembre 1929

Wall Street, mardi 29 octobre 1929
2. La Grande Dépression américaine
Les États-Unis rentrent alors dans une période de dépression économique qui dure presque toute les années 1930 : c'est la « Grande Dépression » (si bien décrite par la photographe Dorothea Lange et l'écrivain John Steinbeck).
- Les faillites se multiplient dans tous les secteurs (30 000 en 1932!) et entraînent une hausse inédite du chômage qui passe de 1,5 millions de personnes en 1929 à 12,5 en 1932 (plus de 25% de la population active). Ce chômage se traduit par une diminution de la demande des ménages qui rend impossible toute reprise de l'économie. C’est le cercle vicieux de la dépression.
- Le monde rural est particulièrement touché. En plus de la baisse des cours des matières premières agricoles, les exploitants du centre et du Midwest sont confrontés à des tempêtes de poussières, les « Dust Bowl », qui rendent toute culture impossible. Des milliers de paysans ruinés sont jetés sur les routes de l'exil (vers la Californie principalement).
- Le chômage et l'absence de protection sociale entraînent une paupérisation de la société américaine : beaucoup perdent leur logement et des bidonvilles s'érigent autour des grandes villes industrielles du nord (ils sont surnommés les « Hooverville », du nom du président de l'époque) ; des familles entières connaissent la famine (alors que les grands propriétaires brûlent leur stock pour essayer d'enrayer la chute des prix) et sont réduites à la mendicité ou ont recours aux soupes populaires. La misère, la criminalité et la violence sociale progressent, comme lors du "massacre de Dearborn" (banlieue de Detroit) en mars 1932 : lors d'une manifestation des travailleurs licenciés de l'industrie automobile organisée par le parti communiste américain, les forces de l'ordre et les membres de la sécurité de la firme Ford (qui craignent le déclenchement d'une émeute) ouvrent le feu sur la foule. Quatre manifestants sont tués et une soixantaine blessées.

"La mère migrante", photographie de D. Lange (1936)

"Hooverville"

Un travailleur ruiné : la paupérisation de la société américaine

Dust Bowl, tempête de poussière dans le Midwest
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Une du "Detroit Free Press" après les manifestations de Dearborn (1932)
C - La mondialisation de la crise
1. Le désengagement américain et la propagation de la crise financière.
A partir d'octobre 1929, les États-Unis commencent à rapatrier les capitaux qu'ils avaient investis en Europe et en Amérique Latine (pour récupérer des liquidités), ce qui déstabilise les systèmes bancaires et économiques dans ces régions.
- Le retrait des capitaux américains entraîne la faillite de grandes banques européennes, très dépendantes des États-Unis. En mai 1931, la Kredit Anstalt, principale banque autrichienne, ferme ses portes. L'Allemagne, qui s’était reconstruite pendant les années 1920 grâce à de nombreux prêts américains, voit aussi son système bancaire particulièrement affecté. Par « effet domino », les banques britanniques et (plus tardivement) françaises sont également touchées.
- Les épargnants, craignant de perdre leur capitaux, se ruent vers les banques pour récupérer leur argent, ce qui accélère encore la crise bancaire européenne.
- Les fermetures bancaires provoquent également une crise du crédit qui paralyse l'économie. Comme aux États-Unis, la crise s'étend donc du secteur financier à tous les domaines de la vie économique : de nombreuses entreprises font faillite, le niveau du chômage explose et la pauvreté progresse. En 1935 par exemple, 1/5ème de la population britannique ne mange pas à sa faim.
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Foule devant la Caisse d’Épargne de Berlin après la faillite de la banque Darmstadt und NationalBank (1932)
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L'évolution du taux de chômage aux États-Unis et en Europe.
2. La contraction du commerce international.
La récession américaine (mais aussi celle de l'Allemagne, deuxième puissance industrielle capitaliste) se traduit par une baisse des importations américaines et donc des exportations des autres pays.
- Entre 1929 et 1932, le commerce mondial diminue du quart en volume et de près des deux tiers en valeur (du fait de la baisse des prix).
- Le ralentissement du commerce international est également lié à la mise en œuvre de politiques protectionnistes aux États-Unis et en Europe. Pour réduire leurs importations et protéger leurs entreprises, les différents États augmentent leurs tarifs douaniers sur les importations étrangères, comme en juin 1930 aux États-Unis avec la loi Hawley-Smoot.
- Ce protectionnisme américain provoque une réduction des exportations européennes et sud-américaines, ce qui alimente d'autant plus la crise économique dans ces régions.
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Évolution du commerce international (1929-1933)
3. Une crise mondiale aux effets similaires mais différenciés.
Si les effets de la crise américaine de 1929 se font sentir partout dans le monde, des spécificités nationales subsistent.
- Les conséquences de la crise sont les mêmes partout : chute des prix, dévaluation des monnaies (pour rester compétitif sur les marchés mondiaux et stimuler les exportations), faillites des banques et des usines, explosion du chômage et crispations politiques et sociales.
- Les pays d'Amérique Latine, dont les économies sont largement basées sur l'exportation de matières premières agricoles, sont particulièrement touchés par le ralentissement des échanges mondiaux et la baisse des prix. Le café brésilien par exemple, perd les 2/3 de sa valeur et est même utilisé comme combustible dans les locomotives ; en Argentine, le bétail excédentaire est abattu.
- La reprise sera plus rapide en Grande-Bretagne qui se replie sur son immense empire colonial (accords d'Ottawa de 1932 qui instaure un système de préférence douanière avec ses colonies).
- En France, pays qui reste encore assez rurale et moins dépendant du commerce international que les autres puissances, la crise est plus tardive et moins marquée mais dure plus longtemps.
- L'URSS de Staline, restée largement à l'écart de la mondialisation capitaliste, est relativement épargnée par la crise.
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Évolution de la production industrielle dans le monde (1925-1938)
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Alimentation d'une locomotive avec café au Brésil! (1936)
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Antonio Berni, Manifestación, 1934.
=> L’interdépendance financière et commerciale des économies et la place prépondérante des États-Unis dans ce système sont ainsi à l’origine de la diffusion de la crise aux pays industrialisés et aux pays fournisseurs de matières premières.
Vocabulaire : cherchez la définition des termes suivants et notez les dans votre glossaire.
Bulle spéculative / courtier / crise économique / dépression économique / Dow Jones / dust bowl / fordisme / hooverville / (hyper)inflation / krach boursier / loi de l'offre et de la demande / paupérisation / protectionnisme / réserve fédérale (FED) / spéculation.