Dans les ruines de Berlin (histoire-image.org)

Publié le 4 Avril 2022

Dans les ruines de Berlin

 

La Frankfurter Strasse après les combats (anonyme, 1945)


Contexte historique : Berlin après la bataille

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ville de Berlin est dévastée. Cible de raids aériens anglais depuis 1940, visée de plus en plus fréquemment par les troupes alliées à mesure que le conflit avance, la capitale du IIIe Reich a été marquée par plusieurs épisodes. Si la bataille aérienne de Berlin, menée par les Britanniques et les Américains de novembre 1943 à mars 1944, cause d’importants dégâts, c’est surtout la période d’avril 1944 à avril 1945 qui voit les bombardements (russes, américains et anglais) s’intensifier et marquer véritablement la ville. Enfin, en avril-mai 1945, la bataille de Berlin, menée au sol par les troupes de l’Armée rouge soutenues par l’artillerie et les forces aériennes, achève de réduire une partie de la ville en cendres et en ruines.

On estime que les raids et les combats ont anéanti plus de six cent mille logements et bâtiments, soit plus du tiers de la cité (notamment le centre, détruit à 70 %), laissant d’impressionnants décombres dans une grande partie de la ville. À Berlin, les pertes humaines sont difficiles à estimer avec précision sur toute la durée du conflit : la seule bataille de Berlin aurait causé près de soixante mille morts chez les soldats, plusieurs dizaines de milliers chez les civils, sans oublier de très nombreuses arrestations, les blessés et les sans-abri.

Symbole de la puissance allemande désormais réduite à néant et soumise aux vainqueurs, la ville occupée devient une source inépuisable de représentations dans l’après-guerre (immédiat comme plus lointain). À l’instar des trois clichés La Frankfurter Strasse après les combats, Berlin, enlèvement de décombres et Des femmes enlèvent les décombres dans une rue de Berlin, les films, les reportages ou les photographies saisissant notamment la vie quotidienne qui s’invente dans un paysage et une réalité urbains si exceptionnels ne cessent en effet de fasciner et interroger ceux qui les regardent.

 

Berlin, enlèvement de décombres (Evgueni Khaldeï, 1945)

 

Analyse des images : Les décombres d’une ville

Les trois photographies ici réunies mettent en évidence les destructions causées par les bombardements et la bataille de Berlin, ainsi que les conséquences immédiates de ces dernières sur la vie quotidienne.

Cliché anonyme probablement pris par un Soviétique, La Frankfurter Strasse après les combats date de mai 1945, juste après l’offensive finale menée par l’Armée rouge. On y aperçoit une portion de la plus grande avenue de Berlin (et du pays), longue de 2,6 kilomètres et menant de l’Alexanderplatz à la Frankfurter Tor via la Strausberger Platz. Deux soldats soviétiques, figurant de dos au premier plan, observent l’une des artères centrales de la ville comme les bâtiments qui la bordent complètement détruits. Par endroits, notamment au centre de l’image, la chaussée défoncée par les bombardements laisse place à un gouffre impressionnant. Ailleurs sur la route, le long d’immeubles en ruines, un char d’assaut (arrière-plan, à droite) et trois piétons (arrière-plan, à gauche) parviennent tout de même à circuler, donnant un semblant de vie à ce paysage dévasté.

C’est deux mois à peine après la fin de la guerre, en juillet, qu’Evgueni Khaldeï a saisi Berlin, enlèvement de décombres. Célèbre photoreporter russe, il a suivi la progression des troupes soviétiques en Allemagne, leur entrée dans Berlin, mais également le quotidien de la capitale durant des premières semaines d’occupation. Le cliché montre une scène devenue habituelle pour les civils berlinois : organisés en plusieurs files et munis quelques outils (pelles et sceaux), ils sont occupés à déblayer les ruines. Hommes, femmes et enfants travaillent ici dans le calme d’une véritable butte formée par les décombres, tâchant de récupérer les briques encore entières (entreposées au premier plan, en bout de file).

Si elle reprend le même motif que l’image précédente, Des femmes enlèvent les décombres dans une rue de Berlin présente cependant plusieurs différences intéressantes avec celle-ci. Elle n’est pas l’œuvre d’un photographe appartenant au camp des vainqueurs, mais d’un photographe allemand, Max Ittenbach. Prise en 1949 (les stigmates de 1945 sont encore bien présentes dans la ville à cette période), elle met en scène un groupe exclusivement féminin qui, quatre ans après la fin de la guerre, poursuit le travail de déblaiement. L’enlèvement des décombres est en effet à un stade plus avancé que sur le cliché précédent : la route est assez dégagée, propre et praticable. Si le jeu d’échelle privilégié par le photographe suggère encore nettement les dégâts subis, les montagnes de gravats (visibles sur les deux côtés de la chaussée, contre les bâtiments) ne semblent plus être le résultat immédiat des bombardements, mais plutôt le fruit volontaire d’une opération méthodique de regroupement et d’ordonnancement préalable au dégagement final.

 

Des femmes enlèvent les décombres dans une rue de Berlin (Max Ittenbach, 1945)

 

Interprétation : Die Trümmerfrauen, les femmes des ruines

Ces trois photographies exposent toutes l’ampleur évidente des dégâts dans la cité, mais aussi une évolution dans le temps.

En effet, et dans un ordre chronologique, la première montre, dans une sorte de mise en abyme, Berlin sous le regard des militaires qui l’ont conquise. Ceux-ci observent les destructions, mais ne participent pas au déblaiement rendu nécessaire. C’est bien les civils, des vaincus, qui doivent s’organiser pour reprendre un semblant de vie et rétablir une ville viable. Une mobilisation inévitable dont on voit les effets dans le temps, entre 1945 et 1949 : une même scène, celle de l’enlèvement des décombres, suggère d’abord un chaos subi et récent, puis un ordre et une méthode bien au point, assez efficaces.

Par ailleurs, Des femmes enlèvent les décombres dans une rue de Berlin permet de rappeler le rôle particulier des femmes dans cet épisode de reconstruction. Avec autant d’hommes morts, prisonniers ou blessés durant la guerre, c’est bien ces dernières, appelées rapidement les femmes des ruines (ou femmes des décombres) qui sont, dans les premiers temps, chargées de remettre la ville en état en déblayant les ruines, en édifiant des montagnes de gravats, puis en rétablissant ce qui peut l’être. Livrées à elles-mêmes dans le dénuement de la défaite et en l’absence de pouvoir politique organisé, largement maltraitées par les troupes soviétiques (plus de cent mille viols), parfois obligées de se prostituer pour survivre, ces femmes deviennent un motif inévitable de la « littérature des ruines » ainsi que des nombreuses images qui racontent cet épisode. Prise d’un point de vue allemand (comme avec la photographie d’Ittenbach), la représentation de ces dernières confine presque au mythe : celui du rôle féminin, presque matriarcal, dans la réparation, la guérison, l’apaisement et la reconstruction pacifiques de ce que les hommes ont détruit. Symbole d’une nouvelle Allemagne non belliqueuse mais résiliente, ces actrices anonymes de l’histoire évoquent également la misère, la pauvreté et les difficultés de tous les civils berlinois pendant cette période.

 

Source : https://histoire-image.org/fr/etudes/ruines-berlin

 

Rédigé par Team Histoire-Géo

Publié dans #Term Histoire

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article