Rwanda : les tribunaux Gacaca, une histoire de justice (amnesty.org)
Publié le 29 Mars 2024
RWANDA : Gacaca, une question de justice
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Témoignage d’un homme suspecté de génocide devant la juridiction gacaca de Zivu, 10 mars 2005. [STR/AP/Sipa]
AMNESTY INTERNATIONAL, Document Public, Londres, novembre 2002 (résumé)
"Le 18 juin 2002, le gouvernement rwandais a créé un nouveau système judiciaire, appelé gacaca, dans le but de juger plus de 100 000 personnes soupçonnées de génocide, qui occupent les prisons surpeuplées du pays. La gacaca s’inspire d’un système coutumier d’audiences destinées à résoudre les conflits locaux. Toutefois, les nouveaux tribunaux gacaca associent à cette pratique coutumière la structure formelle des tribunaux occidentaux. Ces tribunaux gacaca sont des organes judiciaires établis par la loi ; leurs juges peuvent infliger des peines allant jusqu’à la prison à vie. Huit ans après le génocide, on compte environ 112 000 détenus dans les établissements pénitentiaires surpeuplés du pays. Environ 103 000 d’entre eux attendent toujours d’être jugés pour leur participation présumée au génocide. La majorité d’entre eux n’a pas été jugée par un tribunal. Dans de nombreux cas, les accusations portées contre ces détenus n’ont guère, voire pas du tout été vérifiées par une information judiciaire. La plupart de ces détenus n’ont pas fait l’objet d’un procès devant un tribunal et ont peu de chances de voir leur cas examiné dans un avenir proche par les tribunaux du pays, qui sont débordés et traitent en moyenne 1 500 affaires de génocide par an. Le gouvernement rwandais souhaite, grâce à la création de plus de 10 000 tribunaux gacaca, combler le retard actuel dans un délai de trois à cinq ans. Le nouveau système gacaca correspond à une tentative novatrice et ambitieuse de reconstituer le tissu social rwandais, déchiré par le conflit armé et le génocide, en situant le lieu du procès des participants présumés au génocide au sein des communautés où ces crimes ou délits ont été commis. Ces communautés ont choisi les juges gacaca qui examineront les affaires de génocide. Les habitants sont appelés à aider les juges à établir la liste des victimes du génocide et de ses responsables présumés au sein de leur communauté. Puis, les membres de la communauté seront conviés à fournir des informations sur les crimes et délits liés au génocide, lors des audiences gacaca. Le gouvernement part du principe que ces auditions, où les membres de la communauté sont eux-mêmes témoins, juges ou parties, permettront de mieux faire circuler les informations, d’établir la vérité et d’apporter la réconciliation.
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Une «gacaca» au Rwanda en 2003 dans le village de Gotovo. (Getty Images)
Les situations d’après conflit, en particulier celles qui font suite à des crimes aussi graves que celui de génocide, exigent que soient résolus les problèmes qui ont été à l’origine du conflit. Ne pas le faire revient às’exposer à des conflits ultérieurs. Dans les situations d’après conflit, la paix est le bien le plus désiré. Mais la paix dépend non seulement de l’absence de guerre, mais aussi de la recherche de la justice et de la vérité, qui sont mutuellement dépendantes. Sans justice ni vérité, les déchirures profondes du tissu social rwandais ne guériront pas et la paix ne reviendra pas. Des perspectives prometteuses ont été ouvertes par le recours à la justice gacaca, mais la législation qui a établi les juridictions gacaca ne garantit pas les normes minima pour des procès équitables, telles qu’elles sont définies par les textes internationaux ratifiés par le gouvernement rwandais. Comme elle l’a fait par le passé, Amnesty International accueille favorablement les efforts du gouvernement rwandais pour traduire en justice les personnes soupçonnées de crimes et délits liés au génocide. Amnesty International estime néanmoins que les procès gacaca doivent se conformer aux ormes internationales en matière d’équité, afin que les efforts du gouvernement pour mettre fin à l’impunité, t les procès eux-mêmes, portent leurs fruits. Si la population a l’impression que justice n’est pas faite, elle ne pourra pas avoir à nouveau confiance dans le système judiciaire, et le gouvernement aura perdu une occasion de montrer sa détermination à faire respecter les droits humains. Surtout, il pourrait arriver que des personnes réellement coupables de génocide et d’autres crimes contre l’humanité échappent à leur châtiment et que des innocents soient condamnés. Mettre fin à l’impunité et reconstituer le tissu social sont des objectifs louables, mais ils ne seront atteints que si les droits humains sont respectés. Le succès de la gacaca dépend aussi d’un environnement respectueux des droits humains. Amnesty International pense que de nombreux Rwandais n’auront ni l’envie ni la possibilité de présenter un témoignage ouvert, franc et complet, étant donnée la situation actuelle en matière de droits humains. Les problèmes d’arrestations arbitraires et de détentions illégales, d’indépendance et d’impartialité des tribunaux rwandais, ainsi que le bilan globalement médiocre du gouvernement rwandais en matière de droits humains, sapent la confiance de la population dans l’équité du système judiciaire rwandais, et peuvent influer de manière négative sur la participation publique au système gacaca. Cette méfiance peut également découler de l’insistance du gouvernement à poursuivre les individus ayant participé à la campagne génocidaire du gouvernement précédent contre les Tutsi, tout en ignorant les violations des droits humains commises par ses propres troupes au cours du conflit armé et du génocide. Comme les membres d’une communauté peuvent à la fois fournir des informations concernant des crimes ou délits liés au génocide et juger leurs responsables présumés, toute attitude autre qu’une participation honnête et active rend les tribunaux gacaca inéquitables. Le présent rapport examine succinctement les circonstances historiques qui ont mené à l’impasse judiciaire actuelle, qui résulte de la tentative du gouvernement rwandais pour traduire en justice les personnes soupçonnées de génocide. Il se penche en particulier sur les tribunaux gacaca, la législation qui les a établis, leur organisation, ainsi que les différentes étapes de leur mise en œuvre. La gacaca sera examinée d’un point de vue juridique (celui des normes minima pour un procès équitable), et en relation avec la situation des droits humains au Rwanda. Le présent rapport émet des recommandations visant à faire respecter les droits humains de toutes les personnes impliquées dans les tribunaux gacaca."
https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/06/afr470072002fr.pdf