A la conquête des abysses (defense.gouv.fr)

Publié le 19 Janvier 2025

A la conquête des abysses

 

Le Nautile contrôlé par un plongeur, en 2014. Ce mini-sous-marin (habité) d’exploration français est capable de descendre jusqu’à 6 000 m de profondeur. (© Éditions de La Martinière/Olivier Dugornay)

 

"Paradoxe : à l’heure actuelle, l’Homme connaît bien mieux l’espace exo-atmosphérique que les fonds marins,  dont 20% seulement ont été explorés. Le développement des capacités techniques permet désormais  d’explorer plus en profondeur et de conquérir peu à peu ce milieu, le transformant en retour en espace de  confrontation. Preuve de l’importance de ce sujet, la France l’a inscrit dans son plan pour 2030 et la ministre  des Armées l’a traduit en février 2022 dans une stratégie ministérielle

 

Des infrastructures stratégiques à protéger.

Les fonds marins abritent de nombreuses activités, économiques ou militaires, que chaque État entend assurer  et protéger. Aux premières profondeurs, les forces sous-marines réalisent plusieurs types de missions :  renseignement, intervention, projection, maîtrise des espaces aéromaritimes, dissuasion. Seuls quelques sous- marins sont capables d’œuvrer au-delà des profondeurs opérationnelles : il s’agit de petites unités détachées  d’un navire principal. Elles sont utilisées à des fins scientifiques ou pour le sauvetage de sous-marins en détresse. Il est cependant difficile de savoir quelle profondeur elles peuvent réellement atteindre. Sur les fonds  marins se trouvent également des câbles par lesquels transitent près de 99% des communications  intercontinentales (téléphonie, internet, flux financiers), mais également des oléoducs sous- marins, ou des  réseaux approvisionnant les îles isolées en énergie. Historiquement, ces câbles se concentrent dans  l’hémisphère nord, entre les grandes puissances occidentales. Beaucoup relient ainsi aujourd’hui le continent  nord-américain et l’Europe. Toutefois, les liaisons se multiplient entre le Nord et le Sud, ainsi que sur des axes  Sud-Sud. On décompte ainsi aujourd’hui plus de 450 câbles dans le monde. Enfin, les grands fonds suscitent  de plus en plus l’intérêt des acteurs économiques, en raison des ressources qu’ils renfermement, notamment  des hydrocarbures, des minéraux et des terres rares. Les infrastructures d’exploitation s’y développent de  manière croissante, à des profondeurs de plus en plus grandes.

Les abysses, nouveau lieu de conflictualité.

Les câbles sous-marins ont très tôt été la cible d’actions offensives. Dès 1898, lors du conflit hispano- américain, puis durant les deux guerres mondiales, des câbles ont été délibérément sectionnés afin d’entraver  les communications de l’adversaire. Plus récemment, durant le printemps arabe de 2011, certains ont été  rompus afin d’isoler les populations syrienne et égyptienne. Les coupures accidentelles sont toutefois les plus  nombreuses : c’est pourquoi les opérateurs économiques concernés disposent de capacités de réparation  prêtes à intervenir. Aujourd’hui, la préoccupation principale vient de la possibilité d’une coupure simultanée de plusieurs câbles, qui endommagerait sérieusement les relations entre États et acteurs économiques. En  plus de ce risque de coupure, existe celui de l’interception des données transitant par les câbles. Si cette  opération reste encore très difficile à mettre en œuvre, elle constitue une menace qui ne doit pas être occultée. En temps de paix comme en temps de guerre, les câbles sous-marins sont à la fois stratégiques et très vulnérables. Les surveiller et les protéger est devenu une véritable nécessité A cette complexification des enjeux sous-marins s’ajoute la course aux armements, particulièrement en Asie. Dans un contexte international de plus  en plus instable, les fonds sous-marins seront vraisemblablement le théâtre de potentielles confrontations sous-marines. Pour toutes ces raisons, les profondeurs des mers sont aujourd’hui devenues un  nouvel espace de conflictualité, au même titre que le cyberespace et l’espace exo-atmosphérique. Elles partagent d’ailleurs avec ces milieux un certain nombre de caractéristiques : il est ainsi difficile d’identifier l’auteur d’une attaque dans les profondeurs sous-marines, ce qui est particulièrement propice à l’hybridité et à l’ambiguïté. Par ailleurs, les acteurs étatiques ne sont pas les seuls à agir dans les fonds sous-marins : les  acteurs privés s’y multiplient et détiennent souvent des capacités techniques plus importantes, poussant parfois les États à faire appel à eux pour mener à bien certaines missions. On parle alors, à l’instar de l’espace, du «  New Seabed ».

 

Carte de la maîtrise des fonds marins. (© Ministère des Armées et des Anciens combattants)

 

Connaitre,...

La guerre des grands fonds, « seabed warfare », nécessite d’acquérir les capacités pour intervenir jusqu’à 6  000 mètres de profondeur. Des outils hydrographiques et océanographiques existants peuvent déjà atteindre  cette profondeur. Certains sondeurs peuvent même opérer jusqu’aux abysses. Mais la surface à couvrir, 97%  des océans, est immense et nécessite des moyens considérables. Il est cependant possible de s’approcher de  cet objectif, en développant des sous-marins autonomes capables de collecter des données, non seulement  pour la cartographie mais aussi par exemple pour analyser la composition des eaux aux divers niveaux de profondeurs. Ces données sont indispensables aux forces sous- marines, qui en déduisent avec précision la  propagation des sons.

surveiller...

La capacité d’anticiper est aussi une  nécessité. Cela requiert évidemment des capacités spécifiques adaptées aux profondeurs. La Royal Navy a par exemple annoncé la construction d’un « bâtiment de surveillance des fonds marins », qui devrait entrer au service actif en 2024. La surveillance des grands fonds passe aussi par le  développement de systèmes d’écoute sous-marine. Le très connu réseau américain d’hydrophones SOSUS,  déployé durant la guerre froide, en est un exemple. Aujourd’hui, les grands rivaux des États-Unis, que sont la  Russie et la Chine, se montrent très intéressés par ces systèmes et cherchent à s’en doter, par exemple pour  surveiller les fonds de l’océan Arctique (pro- gramme russe Harmony), où l’activité sous-marine s’intensifie. Les  câbles sous-marins pourraient d’ailleurs remplir cette mission d’écoute des fonds grâce aux nouvelles  technologies dont ils sont dotés, notamment la fibre optique.

... et agir depuis et vers les fonds

Selon un rapport de l’OTAN de 2020, certains acteurs (États-Unis et Chine) se montrent aujourd’hui plus innovants, en cherchant à se doter de systèmes d’écoute sous-marine qui ne reposent plus sur l’acoustique. Ils pourraient permettre de détecter toute entrée de forces sous-marines dans une zone donnée, jouant ainsi un rôle premier dans la prévention et la protection des câbles et autres infrastructures sous-marines, mais aussi  plus généralement dans la connaissance des activités sous-marines des États rivaux (forces océaniques  de dissuasion, d’intervention, etc.). La guerre des mines constitue un autre volet des capacités militaires dans  les fonds marins. Habituellement cantonnés à la couche des 300 mètres, ses acteurs seront amenés à étendre  leurs capacités au-delà. En effet, on ne peut écarter la possibilité de mines posées sur des câbles sous-marins,  dans les grandes profondeurs, qu’il faudrait détecter, puis neutraliser.

Une stratégie ministérielle dédiée.

Ayant pris conscience du caractère stratégique des fonds marins, les États ont donné une forte impulsion au  développement de leurs stratégies nationales de « seabed warfare ». La France, qui possède le deuxième  domaine maritime au monde, est concernée au premier chef. Le Président E. Macron a ainsi fait des fonds  marins l’un des dix objectifs stratégiques du plan « France 2030 ». En février 2022, la ministre des Armées a  présenté la « Stratégie ministérielle pour la maîtrise des fonds marins »2. Il y est détaillé le besoin de connaître,  surveiller et agir dans les abysses, et d’adapter notre corpus législatif à ce nouveau milieu. Cette stratégie  rappelle enfin le rôle central de la Marine nationale, et mentionne les programmes CHOF (Capacité  hydrographique et océanographique du futur) et SLAM-F (Système de lutte anti-mines du futur), conçus pour  répondre aux ambitions françaises dans ce milieu. Entre drones et robotique sous- marine, une nouvelle course  aux technologies a commencé dans les abysses. La France a désormais toutes les cartes en mains pour cheminer vers les grands fonds."

 

Brèves Marines N°251, "À la conquête des abysses", in defense.gouv.fr,

Source : https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/cesm/BM%20251%20-%20La%20ma%C3%AEtrise%20des%20fonds%20marins.pdf

Rédigé par Team Histoire-Géo

Publié dans #Term HGGSP

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